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<title ref="bgrf:56.32 wikidata:Q3231998 MiMoText-ID:Q3988"> Les deux consolés: MiMoText edition </title>
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<p> Les Deux Consolés </p>
<p> Voltaire </p>
<p> Garnier, Paris, 1877 </p>
<p> Exporté de Wikisource le 15 mars 2022 </p>
<p> LES </p>
<p> DEUX CONSOLÉS </p>
<p> (1756) </p>
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<div type="chapter">
<p> Le grand philosophe Citophile disait un jour à une femme désolée, et qui avait
juste sujet de l'être : « Madame, la reine d'Angleterre, fille du grand Henri
IV, a été aussi malheureuse que vous : on la chassa de ses royaumes ; elle fut
près de périr sur l'Océan par les tempêtes ; elle vit mourir son royal époux sur
l'échafaud. </p>
<p> --- J'en suis fâchée pour elle, dit la dame ; » et elle se mit à pleurer ses
propres infortunes. </p>
<p> « Mais, dit Citophile, souvenez-vous de Marie Stuart : elle aimait fort
honnêtement un brave musicien qui avait une très-belle basse-taille. Son mari
tua son musicien à ses yeux ; et ensuite sa bonne amie et sa bonne parente, la
reine Élisabeth, qui se disait pucelle, lui fit couper le cou sur un échafaud
tendu de noir, après l'avoir tenue en prison dix-huit années. </p>
<p> --- Cela est fort cruel, répondit la dame ; » et elle se replongea dans sa
mélancolie. </p>
<p> « Vous avez peut-être entendu parler, dit le consolateur, de la belle Jeanne de
Naples, qui fut prise et étranglée ? </p>
<p> --- Je m'en souviens confusément, » dit l'affligée. </p>
<p> « Il faut que je vous conte, ajouta l'autre, l'aventure d'une souveraine qui fut
détrônée de mon temps après souper, et qui est morte dans une île déserte. </p>
<p> --- Je sais toute cette histoire, » répondit la dame. </p>
<p> « Eh bien donc, je vais vous apprendre ce qui est arrivé à une autre grande
princesse à qui j'ai montré la philosophie. Elle avait un amant, comme en ont
toutes les grandes et belles princesses. Son père entra dans sa chambre, et
surprit l'amant, qui avait le visage tout en feu et l'œil étincelant comme une
escarboucle ; la dame aussi avait le teint fort animé. Le visage du jeune homme
déplut tellement au père qu'il lui appliqua le plus énorme soufflet qu'on eût
jamais donné dans sa province. L'amant prit une paire de pincettes et cassa la
tête au beau-père, qui guérit à peine, et qui porte encore la cicatrice de cette
blessure. L'amante, éperdue, sauta par la fenêtre et se démit le pied ; de
manière qu'aujourd'hui elle boite visiblement, quoique d'ailleurs elle ait la
taille admirable. L'amant fut condamné à la mort pour avoir cassé la tête à un
très-grand prince. Vous pouvez juger de l'état où était la princesse quand on
menait pendre l'amant. Je l'ai vue longtemps lorsqu'elle était en prison ; elle
ne me parlait jamais que de ses malheurs. </p>
<p> --- Pourquoi ne voulez-vous donc pas que je songe aux miens ? lui dit la dame. </p>
<p> --- C'est, dit le philosophe, parce qu'il n'y faut pas songer, et que, tant de
grandes dames ayant été si infortunées, il vous sied mal de vous désespérer.
Songez à Hécube, songez à Niobé. </p>
<p> --- Ah dit la dame, si j'avais vécu de leur temps, ou de celui de tant de
belles princesses, et si pour les consoler vous leur aviez conté mes malheurs,
pensez-vous qu'elles vous eussent écouté ? » </p>
<p> Le lendemain, le philosophe perdit son fils unique, et fut sur le point d'en
mourir de douleur. La dame fit dresser une liste de tous les rois qui avaient
perdu leurs enfants, et la porta au philosophe ; il la lut, la trouva fort
exacte, et n'en pleura pas moins. Trois mois après il se revirent, et furent
étonnés de se retrouver d'une humeur très-gaie. Ils firent ériger une belle
statue au Temps, avec cette inscription : </p>
<p> À CELUI QUI CONSOLE. </p>
<trailer> FIN DES DEUX CONSOLÉS. </trailer>
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