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EPITRE DÉDICATOIRE A MADAME LA COMTESSE DU BARRI, MADAME, Daignez accueillir avec bonté un hommage public de sentiment, et de reconnaissance. Le zèle seul m'a dicté ce petit ouvrage; seul il ose vous l'offrir. Je sens qu'il est capable d'égarer dans une carrière qui demande des talents. Mais j'espère, Madame, que vos suffrages suppléeront à la médiocrité des miens. Les traits que je développe dans cet essai le rendent digne de paraître sous vos auspices. Ils sont tous puisés dans votre Maison; ils retracent la fidélité la plus héroïque de deux Sujets pour leur Roi. Trop heureux si vous voulez bien me pardonner une entreprise au - dessus de mes forces, en faveur du motif qui me l'a inspirée.
Je suis avec un profond respect, MADAME Votre très-humble et très-obéissant serviteur.
DE L....
AVERTISSEMENT.
Les principaux traits de ce petit ouvrage sont puisés dans l'Histoire. Dom Vaissette, d'Aigrefeuille, qui ont écrit celle de Languedoc, et presque tous les Mémoires qui nous restent sur la Ligue et sur les troubles qui agitèrent la France pendant la minorité de Louis XIII, les rapportent avec les plus grands éloges. Ceux à qui ces Auteurs sont familiers, ou qui voudront les consulter, ne nous accuseront point d'exagération. Les bons Patriotes nous sauront presque gré d'avoir rapporté au Public des exemples d'amour pour son Prince et pour l'Etat. On sait que cette vertu est toujours le propre de la Nation Françoise prise en général. Chen nous comme chez tous les autres Peuples on voit paraître quelquefois des hommes qui semblent l'oublier, ou qui se laissent prévenir contre les vrais intérêts du Royaume. On ne peut le dissimuler, on en gémit en secret, on se flatte que la grandeur d'âme, les sacrifices les plus héroïques de nos Peres envers la Patrie, remis sous nos yeux réchaufferont un zèle qui se ralentit au préjudice de notre propre gloire. C'est à cette espérance que des ouvrages d'ailleurs assez médiocres doivent un prodigieux succès. La saine portion des François v voit une critique nécessaire des mœurs du temps. Le Gouvernement toujours appliqué à maintenir la prospérité nationale v aperçoit une lumière qui ranime les cœurs engourdis, ou dissipe leurs erreurs. C'est pourquoi il approuve, il envisage ces essais. Nous n'espérons pas qu'il regarde celui-ci du même œil, il est trop peu considérable. Nous serions trop heureux que le Public l'accueille favorablement.
Par un privilège qu'on accorde à l'imagination qui s'exerce sur des faits historiques, nous en avons rapproché qui étaient trop éloignés: nous les avons liés de la manière que nous avons jugée la plus capable de les mettre dans un beau jour, et de les rendre plus intéressants.
LE ROYALISME, OU MÉMOIRES DE DU BARRI DE SAINT AUNEZ, ET DE CONSTANCE DE CÉZELLI SA FEMME.
CHAPITRE PREMIER.
Idée de la France pendant les troubles de la Ligue.
La France était déchirée par une faction acharnée à sa perte. On comprend que je veux parler de ces temps de désastres et de calamités, si connus sous le nom de Ligue, et consignés en caractères de sang dans nos Annales. L'ambitieuse Maison de Guise, l'Evangile dans une main, le fer et la flamme dans l'autre, ébranlait l'Empire François jusques dans ses fondements. Elle savait que la Nation fidèle, attachée à ses Souverains par penchant, par reconnaissance, et par une habitude héréditaire, ne pouvait être forcée à oublier ses devoirs que par l'intérêt de son Dieu. Elle fit parler cet intérêt. Mais pour étendre sur ses desseins un voile impénétrable, et pour les exécuter plus sûrement, elle confondit d'abord la cause du Monarque avec celle de la Religion. Elle montra, dans les sectateurs des opinions nouvelles, des Ennemis également déclarés contre le Culte de leurs Peres, et contre l'autorité de leur Prince. Les Guises affectèrent un zèle ardent pour l'un et pour l'autre, embrassèrent leur défense et se dévouérent en apparence au service de l'Etat. Qui n'eût été séduit par des dehors si imposants? Les frères s'arment contre les frères. Le sang coule à grands flots. D'un bout du Royaume à l'autre, la discorde et la guerre n'inspirent que haines, que ravages, que meurtres, qu'embrâsements.
Un petit nombre de sujets fidèles, voyait en gémissant l'ambition des chefs de la Ligue, fouler aux pieds les droits du Trône, pour envahir la Monarchie. Le Roi, trompé lui-même par leur faux dévouement, ne sentit le but de leur artificieuse politique, que quand le fanatisme fut porté à son comble, que quand il ne fut plus possible de s'opposer à ses excès.
On sait tous les malheurs, tous les fléaux, qui mirent alors la France à deux doigts de sa perte. Le nom de Ligueur était brigué avec enthousiasme. Le titre de Royaliste était un opprobre, un motif d'acharnement et de persécuton. La Ligue dominait sur les plus belles, et les plus nombreuses Provinces du Royaume. Elle y avait appelé des Etrangers qui exerçaient toutes sortes de barbarie. Ceux-ci soutenaient la faction par des vues bien différentes des siennes; mais ils s'accordaient dans le projet de dépouiller la Maison des Bourbons, et de dominer sur ses ruines.
Les Guises n'avaient plus qu'un pas pour monter sur un Trône, où des monceaux de cadavres, où celui du Roi même devaient leur servir de degrés. Ce Prince infortuné n'avait point d'héritier immédiat. L'amour persévérant des François pour leurs Souverains légitimes, la diversité des desseins de ses Ennemis, mirent entre les Guises et ce Trône ébranlé, un rempart puissant qui le conserva à ses légitimes maîtres.
Il était né parmi les Rochers stériles du Bearn, ce Prince, qui, sans cesser d'être le Pere de ses Sujets, devait les subjuguer, consoler la France, la relever de ses ruines, et lui inspirer d'éternels regrets. Elevé parmi son Peuple, il en fit les délices dèsqu'il eût ouvert les yeux à la lumière. Les Béarnois le portaient dans leurs bras. Il mangeait à leur table, franchissait les montagnes avec eux, essuyait leurs sueurs, et allait les chercher dans leurs cabanes dès qu'il pouvait leur rendre quelque service. Il était bien-faisant avant de savoir que c'est le charme le plus doux de la Souveraineté. Son Peuple le voyait croître comme un astre fécond, et qui, malgré l'aridité du sol, y faisait germer, par sa douce chaleur, la fertilité et l'abondance. On ne le nommait que le Bon Henri. Pourquoi faut-il qu'une Gloire acquise sur des sujets aveuglés par la séduction du fanatisme et de l'hypocrisie, ait fait substituer à ce titre sublime le surnom de Grand?
Celui-ci ne voile-t-il pas à la postérité le Pere des François, pour ne lui montrer que leur conquérant? Non, non, cette postérité plus juste que l'histoire, ne lui donne que le nom de Henri, et veut qu'on y attache l'idée de toutes les qualités d'une âme paternelle, de préférence à celle des victoires qui ont coûté tant de larmes au Monarque.
Quoi qu'il en soit, à cette popularité qui lui captivait les cœurs, à cette sensibilité qui caractérisa Henri, ce Prince joignait les vues, le jugement, l'intrépidité, tous les talents qui font le grand Capitaine. Accoutumé dès le berceau à une vie dure et active, dans son enfance même, il donna des présages de ce qu'on devait attendre de son courage infatigable. A douze ans l'Europe avait déjà les yeux sur lui. Les bons François le regardaient en secret comme le Restaurateur de leur Empire. La Navarre devançait le terme où il lui donnerait des Loix, et l'idolâtrait. Ce sentiment franchit les limites de ce petit Etat, et s'alluma de proche en proche jusque dans les Provinces les plus reculées du Royaume.
Telle est, n'en doutons point, une des principales causes qui soutinrent la France au bord de l'abîme, creusé par la Ligue pour l'engloutir. Tel fut le ressort puissant qui éleva au-dessus d'eux-mêmes le petit nombre de François qui avaient garanti leur cœur des pièges d'une association fatale aux légitimes héritiers du Trône; ressort qui dans une longue suite de victoires, fit enfin triompher le petit nombre du plus grand, et les bons patriotes d'une multitude d'insensés et de fanatiques. O! malheureux François! si le Ciel n'eut comblé Henri de vertus, vous seriez donc en proie à une domination étrangère! Que dis-je! votre Empire ne serait plus. Vous seriez confondus avec ces Peuples florissants, qui furent anéantis par une chaîne de révolutions destructives, et dont on ne connaît plus que le nom. Que la mémoire du Prince, qui vous a sauvé malgré vous d'une si cruelle catastrophe, doit vous être chère! Que ne devez-vous point à ceux d'entre vous, qui fidèles à ce Grand Roi, lui ont prêté leurs bras, et ont versé leur sang sous fes drapeaux pour la gloire du Trône et le salut de la Patrie!
CHAPITRE II.
Etablissement de Du Barri en France, son éducation; exploits, et mort de son Pere.
L'attachement inviolable que les droits sacrés de Henri, son âme héroïque, et toutes ses vertus royales inspiraient aux bons François, se manifestait à mesure qu'on le connaissait mieux et qu'on le voyait de plus près. Dans les Provinces éloignées sa renommée lui faisait des Partisans. Dans les Pays voisins de la Navarre, ses actions, le spectacle de ses qualités embrâsoient les cœurs d'amour, et de zèle. Les habitants du Languedoc, et ceux des Provinces adjacentes, avaient pour lui la même admiration et le même dévouement que ses propres Sujets. On eût dit qu'un pressentiment secret des dangers qui menaçaient ce jeune Héros, ajoutait encore au tendre intérêt qu'on prenait à sa personne.
Ce noble enthousiasme éclatait dans les Catholiques Romains, comme dans les Huguenots; tels on nommait alors les Prétendus Réformés; ainsi ces Pays furent le premier Théâtre de la Guerre. Il suffisait que les chefs de la Ligue connussent les dispositions des habitants, en faveur du Prince qu'ils voulaient écarter du Trône, pour qu'ils fissent tous leurs efforts pour lui enlever ces Provinces, ou du moins pour l'y arrêter tant qu'ils pourraient.
C'est dans ces malheureuses circonstances que du Barri se fit connaître en France. Son Père, d'une Maison d'Irlande, qui jouit encore du titre de Pair de ce Royaume, avait abandonné sa Patrie dans le désespoir de ne pouvoir briser les fers sous le poids desquels elle gémissait.
Le Languedoc fut sa retraite.
Les troubles qui agitaient dès lors sa nouvelle Patrie, n'empêchèrent pas que la Cour ne lui donnât du service et des emplois convenables à son rang. Il servit l'Etat avec ce zèle et ces lumières qui sont les garants presque'assurés des succès. Le Languedoc, où il s'était fixé, ne tarda pas à le distinguer parmi la nombreuse Noblesse qui faisait sa gloire et sa sûreté. Il n'avait qu'un fils, il le nourrit, dès son bas âge, des sentiments de fidélité et de reconnaissance qu'il devait à un Etat qui lui avait offert un asile. Il ne le vit pas plutôt capable de quelque réflexion, qu'il débrouilla à ses yeux le chaos des intérêts des divers partis qui déchiraient le sein de la France. Il lui inspira de l'horreur pour la rébellion, quelques couleurs qu'elle osât donner à ses entreprises. Il l'accoutuma de bonne- heure à lier la félicité des Peuples avec l'obéissance envers leurs Maîtres, et la cause des Souverains avec celle du Ciel. A ces principes, dictés par la vérité et par son propre cœur, il joignit l'exercice continuel des armes; leçons d'autant plus nécessaires, et d'autant plus faciles à pratiquer; qu'environnés d'ennemis de toutes parts, ils étaient forcés d'être sans cesse sur leurs gardes. Son premier séjour fut aux environs de Narbonne, cette position seconda bientôt son zèle, pour se porter sans cesse dans tous les endroits qui avaient besoin de secours.
Par cette éducation guerrière, St. Aunez devint un des plus fidèles, et des plus zélés serviteurs du Roi. A peu près du même âge que Henri, il avait fait, comme ce Prince, et sous ses yeux, ses premières armes aux journées de Jarnac et de Montcontour, célèbres par la défaite des Huguenots, animés en secret par les ennemis, encore cachés du Roi, et de l'Etat. Si St. Aunez, excité par l'exemple du jeune Prince, se dévoua au parti contraire; de son côté Henri sut le distinguer, et fut si frappé des preuves de valeur qu'il donna dans ces rencontres, qu'il ne le perdit presque plus de vue, et n'oublia rien pour se l'attacher. Mais tant que la France eut un Roi, St. Aunez s'excusa de passer dans ses troupes, et préféra la gloire de servir l'Etat avec fidélité, aux avantages qui lui étaient offerts. La conduite du Prince avait un effet contraire à la pureté de ses intentions. Les Monumens du temps font foi, que le Roi de Navarre ne s'était point jeté dans le parti Protestant, par haine du Roi ou de l'Etat; mais pour s'opposer à une foule de favoris, dont les conseils causaient tous les troubles.
Ainsi, inébranlable dans ses devoirs, St. Aunez se contenta d'admirer le Héros Navarrois, et de souhaiter en secret à la France, un Prince que le Ciel destinait pour la gouverner. Plus d'une fois même, le Gentilhomme fut contraint de marcher contre le Prince avec ce qu'il avait pu ramasser de bons Royalistes.
C'est dans ces occasions, c'est par les obstacles qu'il apportait fréquemment aux entreprises des Protestans que Henri l'estima de plus en plus, et nourrit pour m'exprimer ainsi, cette bienveillance qui éclata dans la suite sur le Gentil-homme et sur sa famille.
Pour ne point anticiper sur les événements, nous allons toucher légèrement tout ce qui regarde S. Aunez jusqu'à cette époque. Il avait vôlé avec son Pere, et plusieurs GentilsHommes du Canton, au secours d'Ouveillan qu'une troupe de factieux ménaçoit d'insulter. Les Royalistes cachèrent si heureusement leur marche, que les Rebelles approchèrent de la place, dans la confiance qu'elle ne pourrait leur résister; mais ils tombèrent dans une embuscade, commandée par du Barri, où ils furent presque tous taillés en pièces, ou faits prisonniers.
La joie de ces succès fut interrompue par une blessure mortelle qu'avait reçu le Commandant de l'entreprise. On le porta dans la Ville, suivi des prisonniers, et au bruit des cris de Victoire. Son fils et plusieurs Officiers l'entourroient les larmes aux yeux. Le Chirurgien sonda sa plaie, la déclara mortelle, et ne lui promit que peu d'instants à vivre.
Le Vieillard, sans s'émouvoir à une pareille nouvelle, embrassa ses amis, et après avoir fait, et reçu les adieux les plus touchants, il pria qu'on le laissât seul avec son fils. Il rassemble toutes ses forces, fait appeler ce digne objet de sa tendresse, lui prend la main, et lui parle à peu près en ces termes.
“Essuyez vos larmes, mon fils. Ma vie est sans reproche, et je mœurs en défendant ma Patrie, et mon Roi. Vous êtes jeune, mon fils, je ne demandais quelques années encore “au Ciel, que pour vous conduire “dans ce temps orageux.
Ses Arrêts “sont justes. Soumettons-nous et “adorons. Gravez dans votre mémoire les dernières paroles d'un “Pere. Puissent-elles vous préserver de “toute espèce de séductions! Soyez “inébranlable dans vos devoirs, et “sur-tout fidèle au Roi notre nouveau Maître. Récemment transplantés dans ses Etats, nous lui devons “l'asile, et la fortune. Moins il y a “de temps que nous sommes ses Sujets, plus nous sommes obligés de “lui marquer de zèle, et d'attachement. Les Gentils-hommes François “peuvent couvrir leurs fautes d'une “longue suite de services. Eh! plut “à Dieu qu'ils eussent moins souvent “besoin de les réclamer! Pour nous “qui n'avons nuls droits à sa protection, oserions-nous recourir à sa “clémence? Si nous voulons que la “France nous adopte pour ses enfants, il ne faut pas cesser de la servir comme notre mère.
Quelles faveurs n'aurez-vous pas lieu d'attendre de sa tendresse? Que vois-je, “ô mon fils! Mon âme en ce moment, presque dégagée de son enveloppe terrestre, s'élance dans les “siècles futurs; le voile de l'avenir “se déchire à mes yeux.
Un Prince “que nous admirons, qui est digne “de commander à l'Univers, dont “le courage s'est attiré de justes éloges, qui est dans le parti des Rebelles, en détestant la révolte, qui “est armé pour délivrer le Roi, et “l'Etat de leurs oppresseurs, et de “leurs Tirans; ce Prince sera ton Maître, mon fils! Je le vois assis sur “le Trône des François. Que d'embuches il a évité! Que de combats “il a livré! Que de périls il a affronté “avant d'y monter!.... O surprise!...
“il te sourit, t'offre sa confiance, “un commandement!.... j'entends des “gémissements, des cris lugubres. Des “perfides, des scélérats dénaturés.... “O mon cher fils! quel destin glorieux! Il causera des regrets, des “soupirs au plus humain des Rois.“
Quelques larmes coulent de ses yeux à un tableau si déchirant, ses forces semblent l'avoir abandonné pour jamais. Il revient à lui, jette un regard d'attendrissement sur son fils, et, comme ranimé par une inspiration nouvelle, il continue: “Une Héroïne te disputera la palme du courage. Elle triomphera de vos ennemis à force de valeur et de magnanimité. Henri lui décernera la Couronne des serviteurs fidèles.... Quelle “carrière s'ouvre pour nos Neveux!.... “Ciel! reçois mon âme..... Le Livre du “destin.... la scène de la vie.... Se ferment pour moi....Adieu.. mon cher“ A ces mots, il expire dans les bras de son fils. Je m'abstiendrai d'insister sur l'excès de la douleur de St. Aunez, désormais appelé Du Barri. Je me contenterai de dire que les regrets de cet infortuné répondirent à la vive tendresse qu'il avait pour son père, et à l'estime que ce brave Officier s'était acquise.
CHAPITRE III.
Du Barri sauve Ouveillan où résidait Constance de Cézelli; ils font connaissance en combattant à côté l'un de l'autre. Valeur, triomphe de Constance.
Même avant que le temps eût pu calmer ses regrets, le jeune du Barri eut plus d'une occasion d'en venger l'objet chéri. Le Pays était infesté de troupes, qui, divisées par détachements, ravageaient les campagnes, et pillaient les Villes et les Bourgs sans défense. Il fallait sans cesse attaquer et poursuivre les Rebelles, sans cesse éclairer leurs pas, et leurs desseins, et défendre ses propres foyers de leurs approches. Du Barri passa quelques années dans une perpétuelle alternative de guerres et d'armistices, aussi-tôt rompus que publiés.
Dans une nouvelle expédition, pour la défense du poste où son Pere avait reçu le coup mortel, les ennemis étaient prêts de s'en emparer. Les Citoyens accourent sur les murs, combattent avec tant de résolution, qu'en peu d'instants les ennemis perdent leurs avantages, et une proie qu'ils regardaient comme assurée. Ce secours était composé de jeunesse des deux sexes. Le hasard voulut qu'une fille combattît dans l'attaque la plus vive, à côté de du Barri. Son courage, son sang-froid, la vigueur, et la rapidité de ses coups, lui causèrent autant de surprise que d'admiration; Constance de Cézelli, (ainsi s'appelait la jeune Héroïne) ne conçut pas une moins bonne opinion de lui.
Quand elle vit les Rebelles repoussés, et songer à se retirer; Chevalier, “lui dit-elle, poursuivons ces Brigands jusques dans leurs retraites, “exterminons-les jusqu'au dernier.„ Elle s'élance par une bréche dans le fossé; du Barri la suit, et lui-même est imité par tous les braves défenseurs de la Ville. On fait un tel carnage des assiégeants, qu'en moins d'une heure on n'en voit pas un seul en état de résister.
Les Vainqueurs, chargés de leurs dépouilles, et conduisant un grand nombre de prisonniers, reprirent le chemin de la Ville. Du Barri n'avait pas quitté Constance dans la mêlée, il l'accompagna de même au retour, lui rendit tous les services dont elle avait besoin après un combat aussi long que périlleux, et lui adressa les éloges qu'elle méritait. Constance attribua le peu qu'elle avait fait, aux exemples de bravoure qu'il lui avait donnés.
Après ces honnêtetés réciproques, du Barri s'écria“ Hélas! il y a trois ans, “Mademoiselle, que votre résidence “fut encore attaquée; que nous la “défendîmes avec le même bonheur, “et que mon Pere fut blessé mortellement, en commandant une em“buscade où les ennemis tombèrent, “et furent presque tous massacrés.... “Quoi! vous êtes le fils de ce généreux Vieillard? Nous payâmes à ses “funérailles, et nous payons encore “à sa mémoire le tribut de nos pleurs “et de notre reconnaissance. J'étais trop jeune encore pour qu'on “me permît de prendre les armes. “D'ailleurs mon Pere y fit le devoir “d'un bon Citoyen. Il fut aussi blessé “dangereusement, et depuis ce temps “les suites de sa blessure le retiennent “au lit. Instruite de l'extrême danger “que nous courrions, animée par le “désespoir où était mon Pere de ne “pouvoir contribuer à la défense de “la Ville, je résolus de le remplacer, “et sans le prévenir de mon dessein, “je vôlai sur nos remparts. Que d'inquiétudes, que d'alarmes ma fuite “n'a-t'elle pas causé à ce tendre Pere? “avec quelle joie il va m'ouvrir son “sein! votre courage, Monsieur, “a soutenu le mien. Voudrez - vous “bien me présenter à mon Pere, et “lui demander grâce pour une démarche qu'il condamne?„
Du Barri, ravi que Constance lui fournît elle-même le moyen de connaître une famille qui l'intéressait déjà si vivement, lui offrit son entremise sans balancer. Couverts de poussière et de sang, ils se présentent au lit de Monsieur de Cézelli. Ce Vieillard saisi d'effroi pousse un cri, Constance se précipite dans ses bras, et lui dit que ses habits ne sont souillés que du sang ennemi. A peine en croit - il ses assurances réitérées. Il craint pour sa fille et l'admire à la fois. Il jette un œil inquiet sur toute sa personne.“ Oui, mon Pere, le Ciel “a protégé ma vie. Plusieurs ennemis sont tombés sous mes coups, „et leurs armes n'ont pu m'atteindre. Ce Chevalier a reçu une legére “contusion au bras. Qu'il a néanmoins “terrassé de Rebelles! ah!
mon Pere, “que de courage il a montré! C'est à “lui que je dois les faibles efforts que “j'ai faits pour me rendre digne de “vous; c'est pour la seconde fois “qu'il sauve nos murs. Il a perdu son “Pere dans l'action où vous avez été “blessé.
Monsieur de Cézelli pleure de joie, tend les bras à du Barri, le presse sur son sein, et ne peut lui exprimer les sentiments qu'il éprouve, que par des syllabes sans suite, et des embrassements redoublés. Quand ces premiers transports furent un peu calmés, “Votre absence, ma fille, m'a accablé d'inquiétude, et de douleur, je “vous ai crue tombée entre les mains “de quelques ennemis, qui s'étaient “fait jour au milieu de nos braves “défenseurs.
Ah! si j'avais pu imaginer que vous fussiez du nombre “de ces derniers, j'aurais expiré de “crainte. Vous n'auriez plus de Pere, “vous vous reprocheriez ma mort.
“Constance, un zèle aveugle est plus “nuisible qu'utile dans un péril émi“nent.
Que les larmes que vous m'avez sait répandre, vous retiennent “à l'avenir dans les devoirs réservés à “votre sexe. Un mouvement de terreur de votre part, pouvait jeter “le désordre dans nos Troupes, et “cette Place, par votre imprudence, “serait en proie à la fureur de ses „ennemis.„
Du Barri fit un éloge si touchant de la valeur de Constance, peignit sous des couleurs si vraies sa fermeté, la tranquillité de son âme au milieu des dangers, et sur-tout les bons effets qu'avaient produit la descente dans le fossé, et l'idée de poursuivre l'ennemi, que le Vieillard embrassa sa fille, et excusa son action en faveur du succès.
Il était tard. Nos jeunes combattants étaient fatigués. On leur servit des rafraîchissements, et du Barri fut prié d'accepter un lit dans la maison. Il se rendit sans peine à la première instance de Mlle de Cézelli. Il avait admiré son intrépidité dans le combat. A ce sentiment succéda bientôt une émotion plus douce. L'amour avait choisi le moment du carnage pour blesser son cœur jusqu'alors insensible. Toute la nuit Constance fut présente à son esprit, toute la nuit il s'occupa des moyens de faire connaître les exploits de la jeune Héroïne, dans la Province entière. Elevé dès son enfance parmi le tumulte des armes, il connaissait peu les tendres penchants du cœur humain. Il croyait rendre justice à la valeur de Constance quand il lui offrait l'hommage d'une vive tendresse.
La reconnaissance des Habitans envers Mlle de Cézelli, et lui, va lui ôter, pour quelques moments, la liberté de se connaître, et de se convaincre de la nature de ses sentiments.
Le bruit s'étant répandu que c'était à l'exemple de Constance que plusieurs filles du peuple, et d'un ordre supérieur, oubliant la faiblesse de leur sexe, avaient vôlé à la défense des remparts; que Constance avait beaucoup contribué à en chasser les ennemis, à les poursuivre loin des murs, et à les détruire entièrement. De plus on savait que du Barri avait une grande part à cette victoire: que, malgré la perte qu'il avait fait sous les murs de la Place la première fois qu'elle avait été attaquée, il n'avait pas hésité d'accourir à son secours, accompagné de quelques soldats, et d'une foule de Gentils-hommes rassemblés à la hâte. Ce qu'il y avait de Noblesse dans la Ville, et les plus notables Bourgeois, résolurent de célébrer leur délivrance par une fête publique, et de la commencer par des remerciements à Constance, et à du Barri. Ainsi on se rendit le matin en Corps, au bruit des instruments militaires, de l'Artillerie, et de la Mousqueterie, à la maison de Monsieur de Cézelli.
On adressa à sa fille, et à leur jeune hôte, les compliments, et les éloges les plus flatteurs; on les invita a se mettre à la tête de la Bourgeoisie jusqu'à l'Eglise dans laquelle en allait rendre grâce au Ciel de la protection qu'il avait accordée aux armes de la Ville.
Constance embrasse son Pere qui succombait à sa joie; dans ce moment le Consul pose sur sa tête une Couronne de Laurlers, et on prend le chemin de l'Eglise.
Le Peuple appelle, à grand cris, Constance, sa libératrice. Le nom de du Barri est souvent mêlé dans ces acclamations flatteuses à celui de Mlle Cézelli; heureux présages des liens qui uniront bientôt leurs cœurs. Un repas splendide était préparé à l'Hôtel Municipal. Tous deux y occupèrent les premières places, à côté de Monsieur de Cézelli qu'on y avait transporté dans un fauteuil à bras.
La fête fut terminée par des obséques honorables, et des éloges funèbres de ceux qui avaient péri à la défense de la Place, et par une Collecte en faveur des Habitans blessés qui étaient d'une fortune au-dessous de la médiocre.
CHAPITRE IV.
Amours de Du Barri pour Constance. Caractere de celle-ci. Le Patriotisme de son Pere, et le sien.
Du Barri fut moins touché de la part qu'il avait eu à ces honneurs, que de celle que Constance y avait méritée; il eût voulu qu'elle eût été le seul objet de la fête. Que ne lui fut-il possible d'attribuer à elle seule tout l'honneur de la défaite des Ennemis! Si ses discours n'en persuadèrent pas l'assemblée, il eut du moins la satisfaction de la remettre souvent sur les louanges de Mlle de Cézelli. Cette jeune Personne, aussi modeste que reconnaissante, s'étendit sur les siennes avec la même ardeur: Dans ce combat de politesses, la passion naissante de du Barri, fit des progrès sensibles. Le nom de Constance excitait une douce émotion dans son cœur; si ses regards rencontraient les siens un trouble enchanteur s'emparait de ses sens, l'Yvresse de son âme se peignait dans la rougeur de son visage. Il fut retenu encore cette nuit chez Monsieur de Cézelli. Il y goûta moins de repos que la veille. Constance ne sortit point de son imagination. L'espèce de triomphe, dont sa valeur venait d'être honorée, était un nouveau motif de s'attacher de plus en plus à elle, mais il ne voyait dans cette valeur même qu'un obstacle de plus à ses désirs. Comment oser croire qu'une âme si grande, si héroïque, permît quelqu'accès à la tendresse? Ne regardait-elle pas ce penchant comme une faiblesse indigne d'elle? Il avait vu dans ses yeux une vive reconnaissance, des marques d'estime; mais insensible au feu qui animait les siens, avait-elle paru un instant comprendre leur langage?
C'est ainsi que l'amour véritable est accompagné d'inquiétude et de craintes.
C'est ainsi que du Barri à peine Amant se réputoit malheureux. Le jour le surprit dans ces tristes réflexions. Ce temps n'était pas encore venu où la jeunesse présomptueuse, et pleine de confiance, ne devait point croire de Beautés insensibles à son mérite, et à ses attaques. Du Barri ne pensait pas ainsi. Plus Constance lui paraissait digne de sa tendresse, plus il craignait qu'elle fît un meilleur choix. Il voyait approcher le moment de se séparer d'elle. Il n'en peut cacher son chagrin; après avoir pris plusieurs fois la résolution de lui déclarer les sentiments qu'elle lui avait inspirés, il aima mieux rester dans l'incertitude, que de s'exposer à déplaire à Constance par un aveu trop précipité. La perpléxité, le trouble de son âme, percèrent dans ses adieux. S'il entendit avec une sorte de plaisir Monsieur de Cézelli, l'inviter à le venir voir souvent, l'impression de cette preuve d'amitié céda bientôt au regret de quitter un séjour où il avait reçu, pour ainsi dire, des mains de Constance, le prix de son zèle. Il part en proie à son impatience et à ses réflexions. Faisons connaître plus particulièrement Mlle de Cézelli au Lecteur.
Elle n'avait pas encore dix-huit ans; une taille bien prise, le teint du plus grand éclat, un air intéressant, la beauté de ses yeux, la noblesse de son front, son regard doux et animé annonçoiént moins ce qu'on appelle communément de l'esprit, qu'une douceur de caractère, que cette sorte d'humanité qui s'attendrit sur le sort des malheureux. Elle était belle, mais de cette beauté, qui, si on peut le dire, emprunte encore plus de la bonté de l'âme que des grâces de la Perfonne; son port était noble et dégagé, sans étude, sans contrainte; son sourire attrayant semblait ne respirer que le désir d'obliger: en un mot, si on eût pu ne considérer que sa seule Personne, on l'eût prise pour un ouvrage accompli de la Nature, si on n'eût vu que son âme, elle eût passé pour l'assemblage des plus beaux dons de l'Intelligence suprême.
Son Pere, qui lui-même avait veillé à son éducation, avait nourri, et fortifié en elle ces grâces naïves et piquantes qui distinguent son sexe, et le rendent les délices d'une société choisie.
Les troubles qui agitaient sa Province, et tout le Royaume ne contribuèrent pas peuà lui faire une habitude de la réflexion et du raisonnement. Le bruit continuel des armes, les ravages, les dévastations, le pillage, les incendies; suites ordinaires des guerres civiles, firent des impressions profondes sur ce jeune cœur: Son Pere, Royaliste jusqu'à l'enthousiasme, lui expliqua avec soin les droits imperturbables du Souverain sur ses Sujets, et les devoirs des Sujets envers leur Souverain. Il l'embrasa de ce zèle ardent pour son Prince et pour l'Etat dont il était dévoré lui-même.
Imbue de ces principes solides, Constance, dans un corps charmant, montra une âme dévouée au Roi et à la Patrie pour eux-mêmes, et une ardeur de courage qui alla jusqu'à l'intrépidité. Elle en donnera bientôt des preuves. Mais ces vertus tenaient de cette modération, de cette clémence qui faisaient le fonds de son caractère. Son attachement pour l'Etat ne la porra jamais à ces violences criantes, à ces excès qui ont terni la mémoire de plus d'un Grand homme.
Aux attraits séduisants de sa figure relevée encore par un habit d'amazône qu'elle avait pris pour combattre, est - il étonnant que du Barri ait senti les premières étincelles de l'amour, et que tant de dons réunis l'aient en un moment soumis à leur empire? Sa passion augmentait à mesure qu'il connaissait plus Constance. Dans tous les objets qui s'offraient à sa vue, il ne voyait qu'elle. Quelque violence qu'il se fit, il ne put différer que deux jours à lui rendre visite. Il n'était éloigné de la Ville qu'elle habitait, que de trois lieues; cette distance, et l'intervalle de deux jours pendant lesquels il ne l'avait point vue, lui paraissaient immenses. Il se rendit auprès d'elle, bien résolu de lui découvrir le fond de son cœur, et d'apprendre du sien ce qu'il avait à craindre ou à espérer. C'était, se disait-il à lui-même, mourir de mille supplices que de flotter dans une si longue incertitude de son sort. Cependant quelque occasion qu'il en eut, il n'osa jamais s'expliquer devant Mlle de Cézelli. Il s'en retourna sans aucun éclaircissement.
CHAPITRE V.
Mariage de ou Barri avec Constance, nouvelle preuve de son Patriotisme.
Il ne tarda pas d'imaginer un prétexte qui le ramena à la Ville. Constance le reçut avec une certaine politesse mêlée d'embarras, qui l'interdit au point qu'il se fût encore retiré sans annoncer le motif de ses visites; mais se défiant de soi-même, il avait tracé ses sentiments sur le papier. Il mit ce billet sur le lit de Monsieur de Cézelli, dans un moment où il put le lire en liberté. Le Vieillard l'aperçut, se douta de l'artifice, et lut avec précipitation.
Un moment après, du Barri rentra dans sa chambre, il l'aborde en tremblant, Cézelli sourit, et lui parla ainsi“ Je n'aurais pas cru, Monsieur, “qu'un Chevalier courageux et intrépide comme vous, eût tant de timidité pour déclarer qu'il aime. Rasurez-vous, j'ai connu votre cœur “peut-être avant vous.
Si j'eusse désaprouvé vos sentiments, je vous aurais moins pressé de m'accorder votre amitié. Je vous avoue même que “sans vous nommer, j'ai pressenti ma “fille sur ses dispositions pour le mariage. Je ne me suis pas contenté “de ces réponses vagues que font les “jeunes Personnes en pareille circonstance. J'ai exigé qu'elle s'expliquât “avec précision, et sans détour. Elle “m'a répliqué positivemevent qu'il “n'était pas temps encore qu'elle formât des nœuds de cette nature; mais “ne vous en alarmez point, j'ai cru “entrevoir que vous étiez la cause de “cette répugnance; je vous ai fait intervenir dans la conversation; ma “fille est devenue rêveuse, et j'ai conclu “de-là, qu'elle n'éloignait son mariage, que parce qu'elle craignait “que mon choix ne fût tombé sur “un autre.
La rougeur qui lui est montée au visage chaque fois que je lui “ai parlé de vous depuis ce moment, “m'a presque confirmé dans cette “idée; ainsi allez vous promener une “heure dans la Ville, je sonderai le “cœur de ma fille, et il ne dépendra “pas de moi qu'elle ne réponde à vos “sentiments.„
Ces lueurs d'espérance, je ne sais quel mouvement d'amour propre inspirèrent plus de confiance à du Barri, il sortit. Constance fut appelée; instruite de ses desseins, elle avoua avec cette franchise, qui est le partage d'une âme élevée, que depuis qu'elle avait vu du Barri dans le combat, elle éprouvait des sensations qui lui avaient été jusqu'alors inconnues; qu'elle ne s'était pas long-temps dissimulée à elle - même, que c'était l'effet d'un tendre penchant; qu'elle avait fermement résolu d'être unie à ce jeune Officier, ou de ne l'être à nul autre; et que, si elle avait, dans quelques entretiens dont il pourrait se ressouvenir, témoigné un grand éloignement pour le mariage, c'est qu'elle craignait qu'il n'eût des vues sur quelqu'autre jeune homme.
Monsieur de Cézelli sourit à cette réponse naïve, et s'occupa jusques au retour de du Barri à donner à sa fille les conseils que sa sagesse lui dicta pour un engagement tel que celui qu'elle allait former. Du Barri, impatient de savoir le sort qu'elle destinait à ses vœux, rentra bientôt. En l'apperçevant, Monsieur de Cézelli lui tendit les bras, et lui communiqua les sentiments de Constance aussi ingénument qu'elle les lui avait confiés à lui-même. Il tombe aux genoux de sa Maîtresse, et ne peut lui marquer sa reconnaissance que par ses soupirs, et qu'en pressant une de ses mains sur sa bouche.
Après les transports que la certitude d'être aimés inspira à ces jeunes cœurs, où néanmoins Constance mit un peu plus de retenue, on régla tout ce qui avait rapport à la célébration du mariage. La situation de Monsieur de Cézelli, les malheurs qui accablaient la Province, empêchèrent de faire cette cérémonie avec un certain éclat; mais ces circonstances mêmes déterminèrent la le retarder au-delà de quinze jours. Je glisse légèrement sur l'impatience avec laquelle du Barri attendit cet heureux moment, et sur les discours passionnés qu'il tint dans cet intervalle à son aimable Constance. Les événements qui suivent leur mariage sont trop intéressants pour ne pas me hâter de les mettre sous les yeux du Lecteur.
A peine ces Epoux jouissaient des plaisirs qui sont le prix d'une tendresse mutuelle, et de la satisfaction qu'une possession chère et certaine ne manque pas d'inspirer, que le bruit se répandit que le Roi de Navarre, à la tête d'un corps de troupes, avait pénétré dans le Querci, et méditait quelqu'entreprise d'éclat. Du Barri veut monter à cheval, ramassér ce qu'il pourra de soldats et de Noblesse, et tenter de s'opposer à sa marche et à ses progrès; Constance lui déclare qu'il lui serait honteux de n'être sa compagne que dans les soins, et les loisirs domestiques.“ Cher Epoux “ ajoute-t'elle“ mon sort est uni au vôtre “pour partager vos dangers comme “votre bonheur; rien ne pourra me “détourner de la résolution de mourir ou de vaincre avec vous.„
Pendant ce peu de mots, Monsieur de Cézelli fondait en larmes. „Quoi!
“Constance, s'écrie-t-il, tu m'abandonnerais sur ce lit de douleur, et “aux maux qui me consument? Son gestu que tu ne peux t'éloigner sans “me mettre au tombeau. L'honneur “appelle ton Epoux, il m'a parlé comme à lui. Mais le devoir exige de toi “que tu me consoles dans les peines “que j'endure; que tu veilles à ce “reste de vie que le Tout-Puissant “daigne me conserver. Si mon amitié “t'est chère, si tu garde quelque souvenir de l'existence que tu me dois, “des soins que j'ai pris de ton enfance, et pour former ton cœur à la “vertu, tu ne perceras pas ce sein “où tu t'es reposée, que tu as fait “palpiter de joie tant de fois. Ta première témérité a été heureuse. “Crains que le Ciel qui donne la “force de combattre, ne punisse la seconde, “et te fasse trouver une mort inutile “à la Patrie. Ma fille, le zèle indiscret a perdu plus de Provinces qu'il “n'en a défendu. Vois mes pleurs, “vois ces cheveux blanchis dans les “hasards que tu veux courir sans nécessité, et sans fruit. Ces blessures “qui me tourmentent sans cesse, je “les ai reçues pour défendre ton “asile, pour garantir ton honneur, “tes jours des outrages du soldat “effréné, et tu me quitterais pour “étaler une vaine audace? Ah! Constance, ta véritable gloire est de remplir tes devoirs auprès de l'auteur “de tes jours, d'un Pere qui ne “supporte les maux cruels qui le “déchirent, que parce qu'il trouve “de la consolation dans le tendre “intérêt que tu y prends, que parce “qu'il s'il est exposé pour ton propre salut.
Du Barri joignit ses représentations à celles de Monsieur de Cézelli, Constance les combattit avec toute la force du raisonnement, dont son ardeur pour la gloire, et son enthousiasme patriotique la rendaient capable. Mais la voix de la nature l'emporta enfin dans son cœur. Allez donc, cher “Epoux, reprit-elle d'un ton pénétré; allez sans moi à l'ennemi. Puissiez-vous en triompher avec un éclat “proportionné aux sacrifices que je “fais à mon Pere! Puisse le Ciel vous “protéger, selon la justice de la cause “que vous défendez!
CHAPITRE VI.
Du Barri se signale à la prise de Cahors. Le Roi de avarre le rencontre par - tout. Il est blessé et fait prisonnier.
Du Barri partit avec quelques gentilshommes de la ville et des environs. Par des nouveaux avis, ils sçurent en chemin que le Roi de Navarre était entré par surprise dans Cahors; que depuis un jour les habitants s'y défendaient de poste en poste avec une valeur incroyable, mais qu'il n'y avait pas d'apparence qu'ils arrivassent à temps pour la secourir. A cette fâcheuse nouvelle, ils font la plus grande diligence, ramassent tout ce qu'ils peuvent de noblesse et de paysans de bonne volonté, et arrivent au nombre d'environ cent hommes le second jour de l'attaque. Ce secours, tout faible qu'il était, releva le courage des habitants. L'ennemi était dans l'intérieur de la place, et en avait soumis une grande partie en combattant de rue en rue. Barri visite les postes qui se défendaient encore, multiplie les barricades, fait garnir les greniers des maisons, de tuiles, de pierres, et de tout ce qui pouvait incommoder l'ennemi ou ralentir son impétuosité. Il distribua dans ces greniers les femmes, les vieillards, et les enfants hors d'état de porter les armes. Il n'oublia pas d'exagérer aux citoyens le secours qui leur était venu, d'exciter leur courage par de courtes harangues, et de prescrire le plus grand ordre dans les opérations que l'état des choses exigeait.
Après des mesures si propres à lui gagner la confiance, il rassembla les principaux des Officiers et des Citoyens, releva par des justes louanges, leur belle et opiniâtre défense, et leur déclara que le salut de leur ville dépendait d'une attaque vigoureuse et imprévue des principaux postes occupés par les ennemis. „Fatigués d'un combat “de deux jours, ils se reposent “maintenant dans l'idée que vous “n'êtes pas moins épuisés qu'eux; “c'est ce que nous assurent leur “silence et leur inaction: vers minuit, ils scront encore plus profondément ensevelis dans le sommeil; ce sera le temps favorable “de fondre sur eux, de profiter de “leur confusion, de les passer au “fil de l'épée et de les chasser de “vos murs.“
Ce projet fut approuvé de la plupart des Officiers. Mais quelques Citoyens objecterent à du Barri qu'il serait difficile d'engager des gens accablés de fatigue, et découragés par le mauvais succès de la nuit précédente, (car c'était pendant cette nuit que les assiégeants s'étaient établis dans la partie qu'ils occupaient;) qu'il serait difficile, dis-je, de les porter à combattre une seconde fois dans les ténèbres. Du Barri jugea que les Protestans qui tenaient ce langage, avaient quelque intelligence secrète avec les assaillants, et pourraient les avertir de sa résolution: pour les empêcher d'abuser de sa confidence, il céda sans réplique à leurs raisons, et parut abandonner entièrement son projet. Il sortit de l'assemblée comme pour aller lui-même prendre le repos dont il avait besoin, après une marche forcée. Mais il rejoignit secrètement les Officiers qu'il avait vu bien intentionnés, et n'eut pas de peine à leur faire approuver l'attaque. Le Commandant sur - tout l'applaudit beaucoup, chargea du Barri de parcourir les Corps-de-Garde, d'en tirer Soldats et Habitans qui lui montreraient de la résolution, de les rassembler dans les lieux les plus convenables, et de leur ordonner de se tenir prêts à marcher au premier signal. Il en composa un petit corps d'environ six cents hommes. En attendant le moment fixé, on s'occupa à régler tout ce qui pouvait concourir au succès de l'entreprise.
A minuit on se dirigea sur l'Evêché et le Séminaire, deux postes qui servaient de Place d'armes et de point de ralliement aux ennemis. On y marcha avec tant de secret que les Sentinelles furent égorgées; et les Portes enfoncées, avant que l'ennemi aperçût qu'il était attaqué. Ainsi ces postes furent repris ans presque aucune perte. On y fit beaucoup de Prisonniers, qu'on garrotta et enchaîna faute d'un endroit sûr, où on pût les garder. Après avoir laissé cent hommes au Séminaire, et autant à l'Evêché, le reste alla fièrement insulter plusieurs pelotons des Assiégeans.
Mais le Prince instruit de ces avantages, travailla avec une ardeur incroyable à en arrêter les suites, et à réparer ses pertes. Les assiégés furent donc reçus avec beaucoup d'intrépidité. Les succès qu'ils venaient d'avoir leur enfloient le cœur. Ils combattirent en déterminés, et soutinrent long-temps l'impétuosité des ennemis, avec un égal avantage. Le Prince se portait sans cesse où le danger était le plus grand. Du Barri eut plus d'une fois l'honneur de se mesurer avec lui, et de causer du désordre parmi ceux qui combattaient à ses côtés. Henri étonné de le rencontrer à chaque pas, lui cria enfin en s'avançant à lui: “Ventre singri, Chevalier, est„ce à moi que vous en voulez? Ne „me ménagez pas: je ne suis qu'un “Soldat comme vous... Sire, vous “m'apprenez à faire mon devoir; „mourir pour mon Roi, est tout “ce que je veux.“
A ces mots, il se lance dans la mêlée, se fait jour jusques à un Drapeau, l'enlève, et revient aux siens avec ce glorieux trophée. Le Prince qui embrassait tout d'un coup d'œil, vit bientôt que rien ne remuait dans les autres quartiers de la Ville. En Capitaine habile, il y fit faire de fausses attaques.
Cette diversion divisa les forces des Royalistes. Les Habitans qui combattaient sous les ordres de du Barri, sourds à sa voix, se débanderent et coururent à leurs maisons, qu'ils croyaient déjà au pillage. Les Assiégeans profitent de ce moment, courent aux deux postes qu'ils avaient perdus, en criant que la Ville était rendue. Cette fausse nouvelle, la menace de ne faire quartier à personne de ceux qui voudraient tenter une résistance inutile, découragerent le peu de Soldats, commis à la garde de ces postes. Ils livrèrent leurs Portes, et la plupart prirent la fuite. Les Assiégeans déchaînerent leurs Prisonniers.
Ceux-ci, animés à la vengeance, volent au combat. Les Habitans, excités par le danger, confus d'avoir laissé perdre des avantages d'une si grande importance, font les derniers efforts. Le carnage recommence avec furie; chaque rue est un champ de bataille jonché de morts; il pleut de dessus les toits une grêle de pierres et de matières enflammées: le sang ruisselle; on n'entend que des cris lamentables de la part de ceux qui cèdent, qu'acclamations de victoire de la part de ceux qui poursuivent. Du Barri se porte partout, anime les Habitans par ses discours et par ses exemples; où il se trouve, le combat se rétablit, les ennemis perdent du terrain; va - t - il porter du secours ailleurs? les siens sont enfomcés de nouveau: déjà il avait poussé les Assiégeans hors d'une rue entière, et en avait fait une horrible boucherie. Henri accourt, se met à la tête des siens, et reprend quelque avantage qu'il reperd bien-tôt: l'acharnement est tel de part et d'autre, qu'on se saisit au corps, qu'on se foule aux pieds pour ne pas perdre le temps à se servir de l'épée. Enfin, la troupe de du Barri est repoussée; elle l'abandonne, et couvert de sang, et de plusieurs blessures assez légères, il est fait prisonnier, sous les yeux de Henri. Ce Prince crie: „qu'on ménage ce Chevalier, qu'on “panse ses blessures, ventre-singri! “j'aimerais mieux gagner un Officier comme lui, qu'une Ville: “qu'on me le représente quand “celle-ci sera soumise.“
Elle tint encore pendant deux jours, mais ce ne fut que pour combler ses malheurs, par une plus grande perte de ses Habitans: les progrès du Prince releverent autant le courage des siens, qu'ils abattirent celui des Assiégés. Henri les poussa de barricades en barricades, et de rue en rue, avec moins de résistance. Il criait sans cesse à ceux-ci: rendez-vous; et aux siens: épargnez leur sang, ils sont François comme nous. Mots sublimes! et qui caractérisent si bien la générosité, la bonté d'âme de ce grand Prince!
C'est ainsi que Louis XV, ce digne héritier de l'âme de Henri, et de son Trône, rendit la journée de Laufeld célèbre par le discours qu'il tint au Général Ligonier, qu'on lui amena prisonnier: „Ne vaudrait - il “pas mieux, lui dit-il, songer sérieusêment à la paix, que de faire “périr tant de braves gens?“
La Ville enfin soumise, Henri donna les ordres les plus sévères, pour défendre le pillage et toute espèce de violence; en sorte qu'au bout de quelques heures, la tranquillité fut rétablie, et que chacun fut aussi libre, aussi assuré chez soi qu'auparavant.
CHAPITRE VII.
Le Roi de avarre rend la liberté aux Prisonniers de marque, veut intimider du Barri, fait son éloge, le renvoie, lui donne son Cheval et son Epée.
Après ce premier soin qu'exigeait l'intérêt et le bonheur de sa conquête, Henri se fit amener les Prisonniers de marque. Il déplora en leur présence la nécessité où les ennemis du Roi et de l'Etat le réduisaient de soutenir un parti opprimé, les armes à la main; loua le zèle et la valeur de ces Officiers, donna des justes regrets à ceux qui étaient morts, voulut qu'on soignât les blessés avec la plus grande attention, et qu'on leur rendît leurs armes avec tout ce qu'ils pouvaient avoir perdu; en un mot, les combla de toutes les autres marques de bienveillance et d'humanité qui dépendirent de lui: „Pour ce Chevalier là, ajouta-t-il, en parlant à du Barri, je lui “réserve un autre traitement; il a “fait perdre autant de monde depuis cette nuit, que j'en ai perdu “les deux jours précédents; et si “on avait répondu à son zèle, je “manquais mon coup; ventresingri, je le punirai de m'avoir “donné de l'inquiétude... Seigneur, “ma vie est entre vos mains; vos reproches me flattent trop pour hésiter de la perdre en un si beau moment: j'ai servi mon Roi; et si des “pressentiments, que le Ciel justifie “chaque jour, ne me trompent “point, vous le deviendrez avant “peu; je souhaite qu'alors votre “Majesté ne trouve dans tous les “François que des Sujets fidèles... “Chevalier, ne pénétrons point “dans l'avenir; Dieu fera de moi “ce qu'il lui plaira; s'il m'appelle au Trône des François, “je les forcerai de m'aimer; mais “vous, ne craignez-vous point ma “colère?.... Non, Prince, et je “voudrais l'avoir méritée par la “défaite entière de vos Troupes.... “J'estime votre valeur, recevez „mon Cheval de bataille et cette “Epée; l'un vous reconduira chez “vous, l'autre vous fera ressouvenir que je sais m'en servir aussi; “voilà comme le Navarrois se venge d'un brave homme.“
Du Barri tombe aux pieds du Prince, et lui marque, par son trouble, plus énergique que les paroles, la vivacité des impressions et des sentiments dont il est pénétré. Henri le relève, le conduit en s'appuyant sur son épaule dans une autre pièce, et l'engage, par les éloges et les promesses les plus avantageuses, à s'attacher à sa personne et à son parti: „Seigneur, répond du “Barri avec fermeté, ce parti est “rebelle à son Roi; il ne m'appartient pas d'en savoir davantage; “mais, permettez-moi, Sire, de “continuer à vous parler avec franchise. Si ce parti ne vous avait pas “à sa tête, il serait beaucoup moins “à craindre. Je vous vois gémir “dans votre cœur des maux qui désolent un Royaume qui vous est “destiné. Votre caracterc est trop “bon, trop généreux, pour n'être “pas touché de ces désordres, pour “ne pas séparer les intérêts du Roi “d'avec ceux de la Ligue. Cette association monstrueuse, n'a en vue “que l'avilissement de la maison “Royale. Voilà, Seigneur, ce que “vous savez mieux que moi. Nous “sacrifier au service du Roi, à la “conservation de sa couronne, “n'est-ce pas vous servir vous-même, vous qui y avez des droits incontestables après sa mort?.. Aussi “n'est-ce pas contre Henri III que “je prends les armes, mais contre “les ambitieux suppôts de la Ligue. “Je m'en suis expliqué à la face de “toute l'Europe.... Ah! Prince, “vous le voyez aujourd'hui dans la “personne de Henri III. Un Souverain n'est pas toujours le maître “de faire à ses sujets tout le bien “qu'il désire. Vous aimez les François, vous les portez dans vos “entrailles. Vous n'aspirez qu'à “leur procurer une paix durable, “qu'à les rendre le plus heureux “peuple de la terre. Cependant, “Seigneur, vous voyez couler ses “larmes, et son sang inonder nos “Provinces. S'il m'était permis de “porter vos regards sur des temps “plus malheureux encore, quelles “plaies profondes ne vous faudra-t-il pas faire à ce peuple enchaîné “par les circonstances, par les préventions du fanatisme, avant de “parvenir à le convaincre des vertus bienfaisantes de votre grande “âme! on verra alors le meilleur “des Rois, le plus digne d'être “aimé, celui dont les actions d'amour rempliront seules les fastes “publics, qui sera un objet éternel de reconnaissance, et de vénération: on vous verra, dis-je, “Seigneur, lutter contre les malheurs du temps, et sacrifier à votre “valeur une partie de vos sujets “pour sauver l'autre. Vous frissonnez! des pleurs s'échappent “de vos yeux! Ah! Prince, puisse le “Ciel écarter de votre personne, “et du sein de la France, des fléaux “si terribles! puissiez-vous, Sire, “ne donner à votre Peuple que des “preuves de la bienveillance, de “l'affection paternelle dont vous “brûlez pour lui. Jusqu'à ce que le “Tout - Puissant imprime à vos “droits sacrés leur dernier degré “d'authenticité, souffrez que je “consacre à mon Roi le peu que “je puis; ma fidélité à son service “me vaudra peut - être un jour un “favorable regard de votre Majesté, “et je ne désire rien de plus au „monde..... „Continuez, Chevalier, je ne vous oublierai pas: si “j'étais plus riche, je récompenserois mieux un si beau zelel „adieu, si les choses changent, “venez me trouver; je tâcherai de “justifier la bonne opinion que vous “avez de moi.“
Du Barri lui fit une inclination profonde, et se retira. En sortant, un Officier lui dit que le Prince avait ordonné une escorte pour lui et pour tous les Royalistes, qui, n'étant pas de la Ville, desircroient de s'en retourner. Cette nouvelle attention de la part de Henri, ne fit qu'accroître les sentiments de respect, qu'il avait depuis long-temps pour ce jeune Héros. On les accompagna en effet, jusqu'à ce qu'on s'imagina qu'il n'y avait plus à craindre pour leurs personnes.
CHAPITRE VIII.
Henri III nomme du Barri Gouverneur de Leucate; ses services dans ce poste. Il met la Frontiere de Roussillon à contribution.
Si Barri avait eu lieu de contempler de près les qualités héroïques, et la clémence du vainqueur, il n'en déplorait pas moins la perte d'une Ville, qui ouvrait la Province de Languedoc aux Rebelles jusqu'à sa Capitale. Si le parti du Roi avait eu du dessous dans cette rencontre, les prodiges de valeur, la résistance opiniâtre qu'il avait faite, lui laissait la consolation qu'il ne méritait aucun reproche. Enfin, si Madame du Barri devait apprendre la nouvelle de la prise de Cahors, du moins il lui rapportait les éloges dont le Roi de Navarre avait honoré son courage et sa conduite, et les récompenses qu'il avait cru devoir lui accorder.
Ces considérations tristes ou flatteuses, l'occupèrent jusques chezlui. A son silence morne, à son air abattu, Constance comprit sans peine que les Royalistes avaient été vaincus. Leur malheur diminua la joie qu'elle avait de voir son mari. Le Cheval, l'Epée, dont le Roi de Navarre avait récompensé son intrépidité, en étaient un témoignage bien flatteur. Constance fut ravie que son époux eut moissonné des lauriers, même dans un Champ où la victoire s'était déclarée pour les ennemis. Elle avait trop de jugement pour ne pas convenir qu'une défaite où l'on ne succombe qu'à la discipline, n'est pas sans honneur pour les vaincus. Elle avait trop de fermeté, pour se laisser abattre par un revers. Ainsi, nos deux époux s'occupèrent à relever le courage de leur parti.
Ils visitaient la Noblesse des environs; l'affermissoient dans son devoir. Du Barri apprenait-il qu'un Bourg, qu'une Ville, étaient menacés? il ramassait ce qu'il pouvait de forces, et s'y jetait en attendant l'ennemi. Il lui dressait des ambuscades, le surprenait dans ses marches, évantoit ses desseins, et les faisait connaître aux Officiers supérieurs. Henri III, instruit des services importants que lui rendait ce brave serviteur, lui donna un Gouvernement dans la Province. Leucate, ville considérable alors, à six lieues de Narbonne, et à pareille distance de Perpignan, était défendue par une bonne Citadelle.
C'était un poste important, sur les frontières du Languedoc et du Roussillon.
Les Espagnols, fauteurs des troubles, et qui, comme je l'ai dit plus haut, soutenaient laLigue pour leurs intérêts propres, le regardaient avec raison comme une clef de la France. Henri III, pour le même motif, avait à cœur de conserver cette place: ainsi, il en donna le Gouvernement à du Barri, comme une récompense de ses services passés, et comme un poste où il ne manquerait pas d'occasion de signaler son zèle pour sa personne. En effet, le nouveau Gouverneur n'oublia rien pour le mettre hors d'insulte. Il fit réparer les fortifications, le pourvut d'armes, et de munitions de toute espèce; disciplina les Bourgeois, pour en augmenter sa petite garnison, en cas de siège, et inspira son zèle patriotique à tous les Habitans de Leucate et des environs, au point qu'il se vit un corps de troupes respectable, prêt à marcher à ses premiers ordres. On n'en sera point surpris, si l'on fait attention que le nom de du Barri, connu dans la Province, y inspirait seul de la confiance; que tandis que toutes les Campagnes étaient dévastées et pillées, celles qui étaient sous la protection directe de Leucate, ne se ressentait presque point de la Guerre; que le Paysan ensemençoit ses terres, dans la certitude d'en faire la récolte.
Tel fut le premier effet des sorties, et des patrouilles fréquentes ordonnées, et souvent commandées par le gouverneur lui-même. Telle fut la terreur que sa vigilance imprima, que l'ennemi n'osa plus paraître dans l'étendue de son gouvernement. Barri n'ignorait pas que la sûreté dont on jouissait autour de lui, inspirerait une nonchalance, et une sécurité funeste. Peu satisfait de contenir les ennemis loin de la place, il résolut de pousser des détachements jusques dans le Roussillon. Il excita les bourgeois et les paysans à en partager la gloire et les périls, en leur offrant un butin assuré. Il avait un autre motif secret d'entreprendre des expéditions. La Cour, dans une disette affreuse, n'était pas en état de payer la garnison, et de renouveler ses aprovisionnemens, et ses munitions. Les uns et les autres diminuaient considérablement; s'il ne s'en procurait à la pointe de l'épée, il ne pourrait faire une longue résistance s'il était attaqué, et il était bien informé que les Espagnols et les Ligueurs le voyaient d'un mauvais œil braver en quelque sorte leur puissance. Il forma donc un détachement de gens déterminés, se mit à leur tête, et se répandit dans les Bourgs et dans les Villages sur les frontières du Roussillon. Il en rapporta un butin considérable dont il abandonna aux soldats tout ce qu'il ne pouvait pas appliquer au service de la place. Il réitéra ses détachements et les poussa quelquefois jusques sous les murs de Peroignan; les soldats, les bourgeois, les paysans se disputaient, par intérêt, l'honneur d'en être. Ainsi non - seulement du Barri avait mis le pays à couvert des incursions des Ligueurs et de leurs alliés; mais il avait encore l'art de le faire subsister à leurs dépens. La fortune jalouse de ces succès fit bientôt succéder, à la joie qu'en ressentaient nos époux, la douleur et les regrets.
Monsieur de Cézelli, épuisé par des infirmités contre lesquelles il luttait depuis ltantd'années, y succomba enfin; ses maux n'avaient point diminué les agréments de son commerce, ni ralenti sa tendresse pour ses enfants. Ceux-ci furent dans une désolation inexprimable de sa mort. Presque toute la ville n'y fût pas moins sensible. Monsieur de Cézelli jouissait de l'estime générale; ce sentiment si propre à le faire regretter davantage devint peu à peu un motif de consolation pour Monsieur et Madame du Barri. Il est si doux de voir la mémoire de nos proches honorée par nos concitoyens; cette seconde vie que leurs vertus leur ont procurée, dédommage en quelque sorte leur postérité de celle qu'ils ont perdue.
CHAPITRE IX.
Henri IV, parvenu à la Couronne, confire du Barri dans son Gouvernement. Leucate assiégée; soins de du Barripour la défenfe de cette place.
Tandis que, par son intelligence et son intrépidité, Barri faisait respecter les armes de Henri III, à une des extrémités du Royaume, ce Prince, au cœur de la France, au milieu de sa Cour, environné d'ennemis, bravé, menacé de toutes parts par les chefs audacieux de la Ligue, avait été contraint de se réconcilier avec le Roi de Navarre, et d'implorer son secours. Henri, toujours généreux et magnanime était accouru venger l'honneur du Trône, et celui du Monarque. Les Ligueurs virent du premier coupd'œil ce qu'ils avaient à craindre de la réunion de ces deux Princes. Déja ils étaient aux portes de Paris, à la tête d'une petite armée qui grossissait tous les jours. La Ligue vômit de son sein un monstre qui plongea le poignard dans le cœur de Henri III. Le coup était mortel. Le Prince ne survécut que quelques heures. Le Roi de Navarre entre dans sa chambre au moment qu'il venait d'expirer, se jette sur le corps sanglant, l'embrasse avec transport, et le cœur gros de soupirs, il s'écrie „Les larmes ne le feront pas revivre. “Les vraies preuves d'affection, et „de fidélité sont de le venger. Pour “moi, j'y sacrifierai ma vie: nous “sommes tous François, et il n'ya “rien qui nous distingue aux devoirs “que nous devons à notre Roi, et “au service de notre Patrie.
A peine ce Prince eut-il été proclamé Roi de France par les troupes qu'il commandait, et par le petit nombre des Seigneurs fidèles, qu'il fit écrire à du Barri qu'il était son Roi, qu'ils seraient amis désormais, qu'il le confirmait dans son gouvernement, jusqu'à ce qu'en possession du Royaume ou de la plus grande partie, il lui fût possible de mieux récompenser son courage et sa fidélité.
Du Barri, au comble de sa joie de voir ses pressentiments accomplis, répondit qu'il ne pouvait que sacrifier sa vie pour le nouveau Roi des François.
A peine cette nouvelle fut répandue dans la ville, qu'un événement non moins heureux pour du Barri, augmenta la joie publique. Depuis son mariage, il avait désiré en vain des fruits de son amour. Le Ciel touché de ses soupirs, lui accorda enfin cette faveur si propre à resserrer les plus beaux nœuds. Le jour même qu'il reçut ses provisions, Constance donna le jour à un fils. Sa naissance sous de si heureux auspices redoubla les transports d'allégresse dans toute la ville. On la célébra par des fêtes et des réjouissances qui durèrent plusieurs jours. D'une commune voix, on appela le petit S. Aunez, Hercule, nom qu'il conserva et mérita dans la suite. Son père était transporté de tant de marques de zèle et d'estime. Comme il goûtait le plaisir de se voir revivre dans un autre lui - même! Que de doux embrassements il prodigua à cette innocente créature, et à sa mère! Ses regards attendris, pleins de satisfaction, erraient de l'une à l'autre. Il prenait son fils, le pressait sur son cœur. Il retournait à son épouse, et ne pouvait lui exprimer que par ses soupirs sa vive tendresse et ses remerciements: „Chere compagne, “s'écriait-il, après toi, voilà le “plus grand des bienfaits que le Ciel “m'ait accordé: nous recevons une “vie nouvelle.... Nous nous aimerons encore davantage, répliquait “Madame du Barri, cet enfant, “gage de ton amour, sera l'objet “de ta complaisance, et le garant “de notre commune félicité.“
Après ces douces effusions de cœur, chacun retournait à ses devoirs. Car tel est l'effet d'une passion honnête, qu'elle n'est pleinement satisfaite que par notre exactitude à remplir tout ce que notre état nous impose d'obligations. Peut-on s'aimer véritablement, quand on a des reproches secrets à se faire?
L'attachement mutuel de ces deux époux était une espèce de flambeau qui les éclairait dans les moindres détails confiés à leurs soins. Pendant les six mois qui suivirent la naissance de leurs fils, sans incident fâcheux, dans une douce tranquillité, ils s'occupaient ainsi alternativement de ce qu'ils devaient à leur place, et à eux-mêmes. La plus furieuse tempête succéda bientôt à ce calme profond.
Les Espagnols irrités des incursions que le Gouverneur de Leucate avait osé faire dans un pays de leur domination, se joignirent aux Ligueurs répandus dans le Languedoc, et causèrent le dégat jusques sous les murs de Leucate. Du Barri les repoussa avec perte considérable des leurs; mais il comprit que leur dessein était de faire le siège de Leucate. Il la munit de tout ce qui pouvait lui être nécessaire; y fit entrer des forces suffisantes, et se prépara à un edéfen se opiniâtre.
CHAPITRE X.
Le Gouverneur est pris par les Ligueurs; sa fermeté, celle de Constance: il est massacré.
Les ennemis connaissaient trop son courage et son activité, pour regarder Leucate comme une conquête facile. Peu rassurés par le nombre de leurs troupes, ils cherchèrent à joindre l'artifice à la force. Ils tentèrent de corrompre la fidélité du Gouverneur et de se procurer des intelligences dans la place qui pussent les en défaire; mais il était trop affermi dans son devoir, et trop chéri des habitants. Ceux-ci l'instruisirent des démarches odieuses que les rebelles faisaient auprès d'eux. Il ne manqua pas d'apprendre aux ennemis que leurs attentats lui étaient connus. Couverts de confusion, désespérant du succès, ils n'avaient encore osé former le siège: les soldats étaient découragés par le peu d'assurance de leurs chefs, et par de mouvements continuels et sans fruit. Déja les rebelles s'éloignaient, et on se flattait dans la ville qu'ils ne l'assiégeroient point. Un événement qu'on ne peut lire dans l'histoire sans être frappé d'horreur et d'indignation, et qui est le comble des cruautés dont le fanatisme est capable, va changer la face des affaires. Le Gouverneur avait des avis et des projets de la dernière importance à communiquer au Duc de Montmorenci, qui commandait en chef dans le Languedoc: soit qu'il fallût qu'il s'abouchât avec ce Général, soit qu'il ne connût personne autour de lui en état de s'acquitter exactement de cette commission; il n'écoute que son zèle, part, et tombe malheureusement entre les mains des Ligueurs. Ceux-ci marchent aussitôt avec les Espagnols sur Leucate, l'investissent et poussent les travaux du siège avec la dernière vigueur.
Constance informée du sort de son mari, en avait été consternée, la douleur avait suspendu un moment dans l'âme de cette héroïne son intrépidité naturelle.
Elle ne sentait que trop ce qu'elle avait à redouter, pour une tête si chère, de la férocité des ennemis. Après avoir payé ce juste tribut à la nature, le zèle patriotique, l'intérêt de l'état qui l'embrasoient, sécherent peu-à-peu ses pleurs. Du Barri en partant lui avait remis le commandement de la Place. Les Officiers s'étaient écriés unanimement qu'elle était digne d'en remplir les fonctions, et qu'ils lui obéiraient comme à lui-même; ainsi Constance, à la première approche des ennemis, parcourt les remparts, et donne les ordres avec une fermeté qui était le comble de l'héroïsme dans l'extrême accablement où elle se trouvait. Dans des sorties faites à propos, elle comblait les tranchées des ennemis, démontoit, enclouoit, ou enlevait leur artillerie. La sienne était servie avec tant de capacité et de succès, qu'elle foudroyoit partout les Assiégeans. Depuis près de quinze jours, les ennemis, malgré leur animosité et leurs efforts, ne pouvaient se flatter que de très-médiocres progrès, et avaient perdu beaucoup de monde. Une résistance si inattendue de la part d'une femme, inflexible aux menaces réitérées qu'on lui avait faites de massacrer son mari sous ses yeux, si elle ne se rendait pas, dans une forteresse presque isolée, et qui n'avait nul espoir de secours; cette résistance, dis - je, excita la fureur des chefs. Chaque jour, on avait tout mis en usage pour ébranler la fidélité du Gouverneur. Le Général Espagnol le fait venir devant lui: avec un zèle et des éloges perfides, il lui représente qu'il est honteux qu'un Officier de son mérite, ne soit, après tant de services, que Commandant d'une Bicoque; que pays étranger pour pays étranger, la prudence, l'intérêt de sa famille, exigeaient qu'il préférât celui qui lui donnerait le plus d'avantages; que s'il s'attachait à l'Espagne, elle le gratifieroit, non - seulement de terres considérables, mais encore, qu'elle l'élèverait aux premières dignités militaires; que quoiqu'abandonné lui-même, dans le coin d'une Province, il savait de bonne part que les François de sa faction étaient jaloux de son Gouvernement, si on pouvait l'appeler ainsi; qu'il succomberait bientôt sous les traits de l'envie, ou sous les forces combinées de la sainte Ligue et de l'Espagne; que le Prince qu'il servait, Roi de nom, haï, abandonné de tous ses Sujets, chassé du Royaume dans quelques mois, ne trouverait pas un asile dans l'Europe entière, et serait obligé d'en aller mendier chez les Potentats Asiatiques. „La vérité, ajouta-t-il, la saine politique, votre honneur, votre avancement, vous parlent par ma bouche; une puissance justement irritée des ravages que vous avez causés sur ses “terres, veut bien vous les pardonner, vous tendre les bras, et vous “offrir une fortune et des honneurs; ne lassez pas ses bontés “par de nouveaux refus; forcée à “punir, elle déployerait sur vous “toute la rigueur des supplices... “Je n'ai pas besoin de fortune, ni “de dignités; l'honneur de mourir “sujet fidèle, est toute mon ambition; la France est la Patrie de mon “choix; je la servirai jusqu'au dernier soupir; vos fureurs, et celles „de la Ligue, contre le Roi et l'Etat “attireront sur vous la vengeance “céleste; le Tout-Puissant est trop “juste pour vous accorder le succès “que vous vous promettez; les “François rougiront de leur aveuglement, et détesteront une nation que les arment pour la détruire, “et pour s'enrichir de leurs dépouilles; ils repousseront les feux dont “vous dévorez leur Patrie sur l'Espagne elle - même, et vainqueurs de “leurs tyrans, ils ne leur feront sentir leur domination que pour les “rendre plus heureux; tels sont “du moins les vœux que je fais “pour mes compatriotes et pour “les vôtres. Telle est ma réponse; vos menaces, ni leur effet, “ne m'en arracheront point d'autre; vous pouvez préparer vos “tortures... Espagnol, bouillant “de colère, le fit charger de fers, “et jeter dans un cachot.“
Le lendemain matin, les assiégeants envoyèrent un trompêtte dans la ville; conduit chez Constance avec les précautions accoutumées, il lui déclara, de la part de ses Généraux, qu'ils allaient faire mourir son mari dans les tourments, si elle ne leur ouvrait les portes de la ville et de la citadelle.
Madame du Barri se fit violence pour ne point laisser apercevoir le déchirement que lui causait une pareille menace; elle répondit avec fermeté, que s'ils voulaient commettre un crime, elle ne croyait pas devoir les arrêter par une lâcheté, etqu'elle ne rachètera jamais la vie de son mari en livrant une forteresse pour la conservation de laquelle il ferait gloire de mourir. Le trompette fut ramené hors de la ville, un bandeau sur les yeux. Les Généraux irrités d'une réponse qu'ils devaient admirer, jugèrent à propos néanmoins de la communiquer à du Barri, et de faire un dernier effort pour le gagner. Ils y employèrent successivement et les procédés les plus affreux, et les menaces les plus terribles. Il les écouta d'un air serein, et répliqua: „Ma femme ne serait pas digne ni d'elle ni de moi, si elle “avait la lâcheté de vous rendre “une Place que le Roi m'a confiée; “je remercie le Ciel de lui avoir “inspiré le refus courageux dont “vous vous plaignez. Sûr qu'elle “s'enterrera sous les ruines de Leucate, j'attends la mort sans crainte; assouvissez votre rage, appelez vos bourreaux. Je survivrai “à moi-même dans une chère “épouse.
Les rebelles l'accablèrent d'injures et d'outrages, l'entraînèrent sur une éminence d'où il pouvait être vu des assiégés, et s'efforcent de l'émouvoir par tout ce que l'appareil des tourments a de plus affreux. Ferme: il promène un regard tranquille sur les instruments, sur les ministres de son supplice. Les barbares qui l'ordonnaient, désespérant de vaincre son courage, tinrent conseil entre eux, et résolurent de l'amollir par les larmes même de son épouse; ils lui envoyèrent un second trompette, pour lui offrir un sauf-conduit, une trêve de quelques heures, et pour l'inviter à venir arracher du Barri à une mort que son obstination rendait inévitable. Elle réfléchit un moment, accepte la trêve, en rend et donne les hôtages, et se rend dans le camp ennemi. Les Généraux la reçoivent à l'endroit même où ils avaient conduit son mari, et où il était entouré de tous les apprêts de son supplice, à ce spectacle ses genoux tremblent sous son corps, quelques larmes coulent de ses yeux, du Barri alarmé de ces premières marques d'abbatement lui tend les bras et s'écrie: „Chere Constance, tout “ce que tu vois est préparé pour “mon triomphe. Je vais recevoir “le digne prix de mon zèle: sois “ferme dans ton devoir, et tout ce “que la mort a de plus horrible “n'altérera pas la paix de mon âme.“
Ce peu de mots rendit à Constance toute sa fermeté: „Non, reprend - elle, en s'adressant aux chefs des Rebelles,“ la mort de “mon mari ne me fera point changer de résolution; il m'a inspiré “son dévouement à la patrie; répandez, répandez mon sang avec “le sien; violer la trêve ne sera “pas plus honteux pour vous, que “d'égorger un homme qui vous “force à l'estimer; si l'échange de “tous les prisonniers qu'il a faits ne “vous suffit pas pour sa personne, “si les larmes d'une épouse, si la voix “de l'humanité ne vous donnent “point d'horreur d'un crime attroce, frappez votre victime; son sang “s'élèvera jusqu'au Ciel, et en provoquera les carreaux vengeurs; “son nom sera cher à la postérité, “et le vôtre n'y passera que pour en “être l'exécration.... Cher époux, “tu succombes à la barbarie de tes “ennemis! mais vois ton Roi qui “pleure sur ton sort! vois la patrie “qui t'érige dans son cœur un trophée immortel! vois une épouse “qui jure de verser jusqu'à la dernière goutte de son sang pour te “venger! vois dans tes bourreaux “mêmes les instruments de la gloire!
Embrassons-nous pour la dernière fois; tu vivras toujours dans “le cœur de ton épouse; tu n'y auras “de rival que l'honneur“ A ces adieux déchirants, la plupart des rebelles fondaient en larmes. Plus leurs chefs remarquaient de grandeur d'âme dans ces époux, plus leur rage contre le Gouverneur s'envenimoit. Furieux de se voir bravés et vaincus par un sexe si faible, se flatant que la Viile tomberait en leur pouvoir, dès qu'ils seraient délivrés de son généreux défenseur, ils se déterminèrent enfin à consommer une des plus barbares actions qui nous soient présentées par l'histoire. Le Commandant Espagnol élève la voix, et dit à Madame du Barri, que puisqu'elle ne veut pas sauver la vie à son mari, il va commencer à exercer sur lui les rigueurs qu'il prépare à toute la Ville. Mots terriribles, qui causèrent un frissonnement universel à Constance! elle inonde de ses pleurs le sein de Barri, entrelace ses bras autour de lui, et veut mourir des mêmes coups. Attendri, suffoqué par sa douleur, du Barri rappelle sa raison et son courage: „Ne ternis point, chère „épouse, le plus beau moment de „ma vie: laisse m'en achever le sacrifice sans faiblesse: fuis un lieu “qui n'est funeste qu'à notre amour: “je lis dans les yeux de nos ennemis, qu'ils n'épargneraient pas “ton sang: nous mourrions sans “espoir d'être vengés; Leucate “tomberait au pouvoir des rebelles: tu te dois à la Patrie plus “qu'à moi; ne m'envie point “la gloire de te le prouver, par “mon exemple; fuis... adieu... chère “Constance: tu restes à Leucate, “à mon fils; puisse cet enfant jouir “d'un meilleur sort:... adieu!“
Il fait signe à ceux qui avaient accompagné cette épouse infortunée, de l'ôter de ses bras, baignés de larmes. Ceux-ci lançant sur les rebelles des regards farouches et menaçants, exécuterent l'ordre de leur Gouverneur; ils enlèvent Constance: Barri la suit un moment des yeux, se tourne du côté des ennemis, et provoque leur fureur d'un air tranquille et assuré. Les Généraux donnent le fatal signal. Les ministres de leur barbarie se précipitent sur lui, la hache à la main, et il expire sous leurs coups. Au bruit de cette sanglante exécution, Constance, évanouie, sembla se ranimer, tourna la tête, et retomba sans connaissance, et presque sans vie.
CHAPITRE XI.
Constance obtient le Corps de du Barri. Les Assiégés veulent massacrer par représailles les Prisonniers. Générosité de Constance; elle leur rend la liberté.
A PEINe l'eut on rentrée dans la Ville, que les Habitans s'arrachent les cheveux, et remplissent l'air de cris lugubres et d'exécration contre les ennemis, l'entourent, et lui jurent de verser leur sang pour venger la mort de leur Gouverneur. Au mot de vengeance, Constance entrouvre une paupière mourante, et pousse un profond soupir. On lui donne tous les secours que sa situation exigeait; elle revient à elle. L'affluence d'Officiers et de Peuple qui l'environnaient, et qui criaient: „vengeance, vengeance; qu'on “nous mène à ces monstres féroces, “fut pour elle une faible consolation d'une si grande perte. Cependant leurs serments, ces marques d'attachement et de douleur, lui rappelèrent peu à peu le motif du sacrifice qu'elle venait de faire à leur salut. Les ennemis lui renvoyèrent ses hôtages, redemanderent les leurs, et déclarèrent l'armistice rompu. Constance écrivit aux Généraux un billet baigné de ses larmes, où elle les conjurait de ne pas lui refuser le corps de son mari.
Soit qu'ils fussent déjà en proie aux remords, soit que la pitié eut succédé dans leur cœur à un excès de cruauté, ils renvoyèrent le cadavre, même avec une certaine pompe. Je ne décrirai point les cris, les gémissements, la désolation, que la vue de ce corps ensanglanté, excita dans toute la Ville. L'estime, la réputation que le Gouverneur s'était acquise, les feront présumer sans peine au lecteur. Je me contenterai de dire que le deuil fut général, que le moindre des Habitans fondait en larmes à ses obséques, et que son tombeau fut long-temps l'objet d'une sorte de vénération et de regrets publics.
J'ai déjà fait entendre que Constance ne se livra pas tellement à sa douleur, qu'elle oubliât les soins qu'elle devait à la conservation de la place. Elle veilla en effet à ce que les ennemis ne pussent tirer aucun avantage de l'espèce de désordre qu'un événement si tragique avait jeté parmi les Habitans. Elle en visita, dès le même jour, les fortifications, renforça les CorpsdeGardes, et pourvût à tout avec autant d'activité que de présence d'esprit.
Elle s'occupait ainsi de la sûreté d'une Place que le coup le plus cruel venait d'abandonner à ses soins, et que l'intérêt de sa vengeance, ainsi que le vœu unanime de sa garnison et de ses habitants, l'engagoit de plus en plus à défendre. Une foule de peuple s'était assemblée autour d'elle, la suivait, tantôt dans un morne silence, tantôt en frappant l'air des cris de sa douleur, et des serments de sacrifier leur vie à exterminer les meurtriers de leur Gouverneur. Constance remerciait un peuple touché de ses malheurs, si transporté d'indignation contre ses ennemis, quand tout à coup il s'élève une voix qui s'écrie: „que tardons-nous à faire “couler le sang des bourreaux de “notre Chef; nous avons de leurs “prisonniers, allons les massacrer “sur nos remparts.“
Jamais représailles ne furent si justes. Tout le peuple répète: allons les massacrer sur nos remparts, et presse Constance de lui livrer les prisonniers. Déja cette populace forcenée marche à l'endroit où les prisonniers sont renfermés. Constance, à force de prières et de larmes, parvient à les arrêter, à en obtenir un moment de silence, et leur parle à peu près en ces termes: „Votre “zèle, mes amis, est le plus grand “motif de consolation pour moi; “l'horreur que vous inspire un “crime atroce, est le plus digne “éloge qu'il soit possible d'adresser “au brave défenseur que nous “pleurons. Mais ne nous laissons “point aveugler par une ardeur de “vengeance, qui nous confondrait “avec des monstres indignes du “nom d'hommes. Qu'exige de “nous le sang de mon mari? pourquoi a-t-il immolé sa vie? Que “nous fassions ce qu'il ferait s'il “vivait, c'est-à-dire, de nous ensevelir tous sous les ruines de “cette Ville avant de la rendre, pour “la conserver au Roi notre maître “légitime: eh!
croyez-vous, mes “enfants, que le Ciel, irrité contre “nos ennemis par une action aussi “lâche qu'inouïe, ne nous aban“donnerait pas nous - même, si „nous osions nous rendre aussi cou“pables qu'ils le sont à ses yeux. “Les entrailles de l'Eternel sont “émues à la vue du sang innocent “répandu; son bras s'arme pour “en tirer une vengeance, qui n'appartient qu'à lui. Voulez - vous “qu'il seconde, qu'il couronne nos “efforts, reposons-nous sur sa puissance d'un intérêt si cher; ne souillons ni la cause que nous défendons, ni la mémoire de mon “mari. Son sang, ses manes, nous “crient vengeance. C'est à notre “valeur, à nos justes armes, de la “satisfaire; repoussons les ennemis, exterminons-les, s'il se peut, „jusqu'au dernier, mais à force “ouverte, par la supériorité de “notre courage. Ne justifions point “leur crime par un autre. Qu'un “ressentiment, hélas! trop fondé, “ne nous inspire que des actions „aussi humaines, aussi pures, que “leur aveugle animosité leur en a “inspiré d'atroces.
Vous parlez de „représailles? ah! ce moyen est “la honte, l'opprobre de l'humanité. C'est une ressource que le “démon des combats a inventé “pour avilir, pour détruire plus „facilement l'espèce humaine, condamnée par la nature, abhorrée “par le Ciel: cette loi barbare n'a “de force que dans les maîns des “tyrans, des destructeurs du monde. “Eh! quoi, oublierons-nous que “les hommes sont nos frères, parce “qu'il en est qui l'ont oublié? Parce “que des perfides font couler mes “larmes et les vôtres, enfoncerons-nous le poignard dans le cœur de “vingt familles, déjà accablées sous “le poids des alarmes et de la “guerre? Si nous sommes malheureux, est - ce une raison pour “en augmenter le nombre? D'ailleurs, à quelles conditions ces Prisonniers, que vous demandez que “je livre à votre fureur, se sont-ils “rendus à nous? Que nous leur sauverions la vie, que nous les conserverions à leurs familles et à “l'Etat, que nous les traiterions “comme nos amis, comme nos “nos frères. Nous le leur avons promis. Trahirions - nous leur confiance, la faiblesse, ou le sort “des armes où nous - mêmes les “avons réduits? La perfidie, le “parjure, la violation de toute les “lois de l'humanité, que de crimes vous voulez commettre à “la fois! Au nom du Ciel, qui „nous a prescrit de pardonner, de “ces larmes qui vous attendrissent, “d'un époux dont le sort excite “votre courroux, ne poursuivez “nos ennemis communs que les “armes à la main; n'imitez point “leur barbarie; ne partagez point “leur honte et leurs remords; attaquons-les avec cette supériorité “que nous donne sur eux la justice “de notre cause, et que nous devons nous promettre de la noblesse des procédés. Le Ciel est pour “nous; cette Ville sera à jamais, “pour les rebelles, un objet de “désespoir, comme elle est déjà un “monument de leur cruauté.“
Les Habitans, pénétrés d'admiration pour Constance, célèbrent sa grandeur d'âme par mille acclamations, mille promesses de verser leur sang pour ses intérêts, et de se laisser conduire par ses conseils et par ses ordres. Ils reconnaissent unanimement qu'une ardeur inconsidérée leur a suggéré un dessein horrible, et jurent à Constance, que l'obligation qu'ils lui ont de ne l'avoir pas exécuté, resserrera de plus en plus les nœuds qui l'attachent à elle. La Gouvernante leur montre combien elle est sensible à ces assurances, et rentre chez-elle. La proposition du Peuple lui avait fait trop d'horreur; sa légèreté naturelle lui donnait trop de défiance, pour ne pas prendre des mesures capables de réprimer une fureur que son discours avait ralentie, et que le moindre cri pourrait rallumer. Elle envoie chercher le plus considérable des Prisonniers. (C'était un Gentilhomme nommé de Loupian.) Il est à remarquer que Monsieur le Duc de Montmorenci l'avait fait prisonnier, et qu'instruit que du Barri avait eu le même sort, il avait cru devoir envoyer Loupian à Constance, pour qu'il lui répondit en quelque sorte de la vie de son mari. Ce Prisonnier n'ignorait pas le dessein du Duc. Il paraît en tremblant devant elle; il savait le sort tragique de son mari, et se regardait comme la première victime qu'elle dût immoler à sa douleur. Il veut tomber à ses genoux; la Gouvernante l'en empêche: „Ne craignez rien, “Monsieur, d'une femme si profondément affligée; ceux dont “vous suivez malheureusement la “faction, m'ont causé aujourd'hui “une perte irréparable, et dont je “me vengerai si le Ciel daigne m'être propice. Mais je ne sais point “provoquer sa colère quand j'implore son secours. Je respecte vos “malheurs dans les miens. Le crime “des Assiégeans a excité une telle “indignation parmi la Garnison et “le Peuple de cette Ville, contre “eux et leurs adhérans, que nivous, “ni nos autres Prisonniers, ne “m'y paraissent pas en sûreté. Je “vous ai fait venir ici, pour vous “communiquer mes craintes, et “vous dire que nos portes vous sont “ouvertes. Vous pouvez donc retourner dès-à-présent en votre “Camp, ou vous retirer ailleurs, “si vous le jugez à propos. Je vous “fournirai, si vous prenez ce dernier parti, une escorte qui me “répondra de vous, et de votre vie, “sur la sienne.“
Loupian confus d'une générosité si héroïque, s'écrie: „Non, “Madame, je ne rejoindrai point “nos troupes; je serais indigne de “la grâce que vous m'accordez, et “du nom de François, si je reprenais les armes contre ma libératrice. J'irai déplorer dans la solitude, le plus long-temps que je “pourrai, le sort de ma Patrie. “Je gémirai de ce que la religion sainte, que nous soutenons contre des Peuples superstitieux, ne “nous inspire que des violences et “des meurtres, tandis que vous “nous donnez les plus grands exemples de courage et d'humanité. “Je n'oublierai jamais, Madame, “que je vous dois la vie; que vous “pouviez me l'ôter avec un ombre “de justice, et qu'en m'accordant “ce rare bienfait, vous y avez “ajouté celui presque'aussi estimable de la liberté.“
La conversation roula encore quelques moments sur la nature des droits que chaque parti revendiquoit, et sur les motifs qui les armoient l'un contre l'autre.
Le Ligueur était trop prévenu en faveur des Rebelles. La Gouvernante était trop attachée au service du Roi, et aux intérêts du Trône; ainsi, chacun persista dans son opinion. Madame du Barri souhaita bien sincèrement que les Rebelles fussent enfin éclairés sur leurs véritables devoirs, et le Gentilhomme prit congé d'elle, plein d'estime et de reconnaissance pour une âme si héroïque.
CHAPITRE XII.
Vigoureuse sortie sur les Assiégeans; ils sont battus, dispersés, et la Ville délivrée.
Loupian fut conduit jusqu'à plus d'une lieue de la ville; quelques-autres prisonniers desirerent de rejoindre les leurs, et Constance le leur permit Après avoir ainsi pourvu à leur sûreté, elle s'occupa des moyens d'affaiblir les assiégeants, et de les forcer de lever le siège: ceux-ci frappés d'un esprit de vertige, avaient passé la journée à se reprocher la mort du Gouverneur. Les François faisaient éclater leur mécontentement contre les Espagnols; Constance, à leur inaction, pressentit leur mésintelligence, et résolut d'en profiter.
Vers le milieu de la nuit, elle se mit à la tête d'une partie de sa garnison, et tomba à l'improviste sur les assiégeants; la douleur qui abat les âmes communes, semblait ajouter à son intrépidité; elle fit un carnage horrible des ennemis, combla leurs travaux, s'empara d'une batterie de quatre pièces de canon et les pointa contre les rebelles. La plupart crurent tout perdu, et prirent la fuite. Les Généraux rassemblèrent avec peine un petit corps de troupes capables de s'opposer aux assiégés, et celui - ci ne pût soutenir long - temps leur impétuosité; toute la tranchée fut abandonnée; l'artillerie démontée ou enclouée, et les rebelles obligés de se sauver dans leurs retranchements et leur camp.
Constance ne jugea pas à propos de les y attaquer, elle rentra dans la ville avec six pièces de canon des ennemis, plusieurs drapeaux, et plus de deux cents prisonniers. Au point du jour les ennemis voyant leurs tranchées jonchées de morts ou comblées, leur artillerie prise, ou hors d'état de servir, le peu qu'il leur restait de monde, aigri, consterné, découragé, songèrent à leur retraite; Constance observait leurs mouvements, elle monte à cheval, confie la garde de la place à un Officier expérimenté, et va avec des troupes fraîches se mettre en embuscade à environ deux mille de la ville, dans un endroit où il fallait que les ennemis passassent; ils gardèrent d'abord quelqu'ordre dans leur retraite; mais étonnés de n'être point poursuivis, ils se débanderent et braverent les menaces de leurs Généraux; Constance les surprend, fond l'épée à la main sur les bagages, et sur l'arrière - garde; elle éprouve d'abord quelque résistance; elle encourage les siens, leur crie: „C'est ici qu'il faut venger votre “Gouverneur,“ et se précipite au milieu des ennemis. Ses troupes secondent ses efforts, enfoncent les bataillons ennemis, et les dispersent.
Les Généraux instruits par quelques fuyards de la défaite de l'arrière-garde et de la prise des bagages, veulent tourner bride, et accourir à leur secours; mais l'épouvante était générale, on fut sourd à leur voix, on chercha son salut dans la fuite. Madame du Barri, maîtresse des bagages et du champ de bataille, envoya quelque cavalerie pour éclairer les desseins des ennemis, et pour recueillir les fuyards; au bout d'environ une demi - heure on lui amena une trentaine de prisonniers, et on lui apprit que les rebelles se retiraient avec la plus grande vitesse; alors elle rassemble les charriots, les caissons et les prisonniers, et reprend le chemin de Leucate.
CHAPITRE XIII.
Elle est nommée Gouvernante de Leucate, et la survivance accordée à son fils. Soins qu'elle prend pour assurer les travaux de la Campagne. Elle reçoit des lettres de Henri IV.
Son entrée fut une espèce de triomphe; l'air retentissait des cris de victoire, d'éloges et de bénédictions; cette héroïne fut reconduite chez elle au bruit des tambours, des instruments militaires et des acclamations publiques. Le jour fut consacré aux réjouissances, et aux actions de grâce; Constance distribua le butin à la garnison, et aux braves habitants qui avaient pris les armes, parut aux cérémonies où elle ne pût se dispenser d'assister, et se retira chez elle pour ne point troubler la joie publique par des larmes qu'elle avait peine à retenir.
Bien différente de ces héros de l'antiquité, qui se dévouaient au bien public par une espèce d'emportement frénétique, elle savait allier les droits de la nature, avec le zèle patriotique, combattre les ennemis de l'Etat, et pleurer ses pertes domestiques. Elle prit son fils entre ses bras, le pressa contre son sein. „C'est “l'image vivante de son père, dit-elle, en le mouillant de ses larmes, “il aura son courage, son attachement inviolable pour son Souverain.
Ciel! préserve - le des attentats du fanatisme; si son sang doit “couler pour la France, du moins “qu'elle ne le répande pas elle-même.“
Elle donna quelques jours à l'amertume de son regret et à sa juste douleur; l'Officier qu'elle avait envoyé au Roi pour lui apprendre la mort de son mari, la défaite des ennemis, et la levée du siège, revint à Leucate avec une Lettre et un Brévet de ce Prince; dans la première, il déplorait amèrement la mort de du Barri, donnait des justes regrets à sa mémoire, faisait son éloge, et celui de la valeur de son épouse, et lui promettait d'être son consolateur et le père de son enfant. Par le second, il lui donnait le gouvernement d'une forteresse qu'elle avait défendue au péril de ce qu'elle avait de plus cher, et en assurait la survivance à son fils; à ces récompenses Henri IV. joignit les témoignages de cette rare bienveillance qui accompagnait ses moindres actions, et il chargea l'Officier d'assurer Madame du Barri que dès qu'il serait en possession paisible de sa Couronne, il ne mettrait point de bornes à ses bienfaits.
Nous ne pouvons nous réfuser à comparer à cette lettre, à ces regrets de Henri, la douleur dont Louis XV fut pénétré dans une pareille circonstance. Le cœur des bons Princes est presque toujours le même, ainsi que leur histoire. Louis écrit: „J'ai perdu un honnête-homme que j'estimais et que j'aimais; je sais qu'il “a un frère dans l'état ecclésiastique: donnez - lui le premier Bé“néfice, s'il en est digne, comme “je le crois.“
Ces promesses d'un Roi humain, généreux par caractère, ne contribuèrent pas peu à dissiper le noir chagrin de Constance. S'il lui resta pendant plusieurs années un fond de mélancolie qu'elle eut peine à vaincre dans le particulier, elle s'en rendit maîtresse en public. Après ce qu'elle devait à sa place, l'éducation de son fils l'occupa uniquement; le jeune enfant répondit à ses soins, et dès l'âge de huit ans il fut mis au nombre des Pages de S. M. Nous aurons occasion d'en parler encore plus bas.
Nous avons dit que le Languedoc avait été une des premières provinvinces où la guerre s'était allumée, parce qu'il n'importait pas moins aux deux partis de la retenir dans leur obéissance. Quand Henri IV fut monté sur le Trône, il poursuivit les Ligueurs dans le cœur de la France, et jusques sous les murs de la Capitale; ainsi le feu de la discorde sembla se ralentir sur les frontières. Les ennemis pressés vivement, ne purent renvoyer de nouvelles troupes sur Leucate, et cette ville n'eut rien à redouter de leur part.
La Gouvernante employa sa petite garnison, pendant les années suivantes, à chasser des campagnes voisines diverses troupes de brigands qui y causaient encore quelques ravages. Elle protégea l'agriculture, fit successivement quelques levées de troupes, qu'elle envoya à l'Armée Royale, et n'oublia rien pour rendre le loisir où elle se trouvait, utile aux intérêts du Roi.
Ce Prince, si juste appréciateur du mérite, et de la fidélité à son service, si ardent à les récompenser, soupirait après le moment d'effectuer ses promesses à l'égard de la Gouvernante. Il se déroba quelquefois aux affaires, au tumulte des armes, pour peindre à Constance, dans quelques lignes tracées de sa main, les embarras où il se trouvait, le désir qu'il avait de reconnaître ses services. Madame du Barri recevait ces lettres précieuses, y puisait des nouveaux motifs de consacrer sa vie aux intérêts d'un Roi, qui versait ses chagrins dans le sein d'une sujette, et qui se plaignait de n'avoir pour elle qu'une bienveillance stérile. Ces épanchements d'une âme sensible et pénétrée, lui étaient plus chers que la fortune, que les honneurs les plus éclatants: tous les efforts, tous les sacrifices qu'elle avait fait pour son Roi, n'étaient rien en comparaison de ces mots, écrits de sa main. Elle voyait, presque'avec douleur, que la tranquillité rétablie dans la Province la privait des occasions de faire briller son zèle, et d'exposer sa vie aux plus grands périls. Combien de fois ne reprocha-t-elle pas à la nature de lui avoir donné un sexe, auquel le maniement des armes semble interdit! Combien de fois ne fut-elle pas prête à voler dans ces combats, où Henri se hasardant en simple soldat, fixait la victoire par sa valeur, et la payait souvent de son sang! Qu'il lui serait doux de jeter le désordre et l'effroi parmi les Ligueurs, et de leur montrer leur devoir dans la persévérance d'une femme à servir l'Etat! O préjugé cruell l'homme s'égare, oublie ce qu'il doit à sa Patrie, à son Roi, et il prodigue le ridicule à une femme qui leur est fidèle!
Cette réflexion retint son courage; elle se contenta de fatiguer le Ciel de ses vœux, pour la prospérité des armes de Henri; sa cause était trop juste; les desseins de ce Prince en faveur de son Peuple étaient trop dignes de la divinité, pour qu'elle ne l'aidât pas à vaincre tous ses ennemis; mais ce ne fut qu'après plus de onze ans de fatigues, de travaux et de périls.
Constance n'attendit pas si long-temps à recevoir des marques de la bienveillance du Roi; immédiatement après son mariage, ce Prince l'attacha à la Reine, en qualité de Dame d'honneur.
CHAPITRE XIV.
Constance arrive à la Cour; n'use de sa faveur que pour le bien publie: conversation touchante qu'elle a avec le Roi.
C'est donc à la Cour, sur ce nouveau théâtre, où nous allons la considérer encore quelques instants. Je ne doute point que l'élévation de ses sentiments et son zèle héroïque, n'aient assez intéressé le lecteur pour qu'il soit charmé de voir tout ce qui a rapport à une femme si digne d'éloges. La douceur de son caractère, sa modération, son désintéressement, l'usage qu'elle fit constamment de son crédit, en faveur du Peuple, ne fourniront pas un tableau moins touchant que ses exploits, et son sublime enthousiasme pour le service de ses Souverains. Sa renommée l'avait dévancée à la Cour. Ceux des courtisans, qui savent estimer les belles actions, leur juste valeur, lui témoignèrent les égards et l'empressement les plus flatteurs; mais il est auprès des Rois, comme dans les autres sociétés, une classe d'hommes qui cherchent à s'attirer la considération, en couvrant les objets les plus graves, de ridicule. Ils ne les voient que du côté qui peut prêter à leurs fades plaisanteries. Ils ne s'étudient qu'à aiguiser les traits de la satyre et de l'épigramme, qu'à faire courir quelques prétendus bons mots, sur les personnages les plus estimables. Misérable talent, que la malignité humaine applaudit néanmoins trop souvent,parce qu'il venge la médiocrité de l'éclat des qualités du cœur et de la beauté.
Constance fut d'abord en butte aux pointes de ces mauvais plaisants, mais où elle plaisanta la première de leurs traits insipides, où elle se contenta de les mépriser, à l'exemple des gens sensés. Ces petits zoïles de Cour, car où n'y en a-t-il pas? honteux de se voir peu écoutés, exercèrent leurs talents sur d'autres personnes.
Elle ne s'éleva pas moins heureusement au-dessus des désagréments d'une autre espèce, que l'envie tâcha de lui susciter, et elle n'eût le temps que d'être connue, pour jouir d'une estime générale.
La Reine avait pour elle des bontés particulières; le Roi l'honorait de sa bienveillance, et même d'entretiens assez longs, en sorte qu'elle ne tarda pas à avoir toutes les apparences d'un grand crédit, et une espèce de cour, où plusieurs de ceux qui l'avaient tournée en ridicule, ne furent pas les derniers à briguer l'honneur d'être admis. Elle ne leur marqua jamais le moindre ressentiment; elle les obligea même quand elle en eut occasion. Le mérite seul avait une recommandation suffisante auprès d'elle; sans ce titre, toutes les considérations qui se tirent de la politique, de l'intérêt, des liens du sang même, n'étaient d'aucun poids dans son esprit. D'un autre côté, l'indigent, le faible, la trouvaient toujours sensible à leurs malheurs, toujours prête à les protéger s'ils étaient persécutés, à réclamer les lois en leur faveur, s'ils craignaient de succomber sous des adversaires puissants. On eut dit que la vue, presque continuelle de son Roi, remplissait son âme, et n'y laissait point de place à l'ambition. Que la conduite de ce Prince était attendrissante en effet!
Il travaillait avec autant d'activité que de patience, à effacer de son Royaume jusqu'au plus légères traces des malheurs passés. Tous ses soins, toutes ses sollicitudes, étaient pour son Peuple. Il s'informait exactement de la situation des Provinces. S'il y en avait qui souffrissent la disette, ou quelques autres maux, auxquels les troubles l'eussent mis dans l'impuissance de remédier, son cœur paternel était déchiré. Il venait chez la Reine, poussait des profonds soupirs en présence de Madame du Barri, et se plaignait que la fortune s'opposât au désir qu'il avait de rendre tous ses sujets heureux. Ils sont mes enfants, “s'écriait-il, dans ces tristes moments: “ils pleurent, et je ne puis essuyer “leurs larmes; je n'ai qu'une affection impuissante à leur offrir. “Ah!
Si le Ciel me prête des jours, “je parviendrai enfin à faire leur “bonheur; sans la Ligue, mon “Peuple vivrait dans l'abondance... “Ses misères m'accablent de douleur.“
Une autre fois, plein de la plus vive joie, il disait à la Reine en l'abordant: „Sully sort d'avec moi; il “m'a fait voir que l'on pouvait “diminuer la taille d'une telle Généralité. Il ne portait cette diminution qu'à cent mille francs; je “lui ai observé que c'était bien peu, “et il en a encore retranché cent “mille. Il a murmuré, mais la diminution est faite. Ces pauvres “gens! comme ils seront joyeux “en apprenant que je fais mon “possible pour les soulager! Pour “moi, la nouvelle d'une grande “victoire remportée par mes “troupes, ne me ferait pas plus „de plaisir. Vous en êtes bien aise “aussi, je pense, ma bonne Gouvernante? A propos, vous ne me “demandez rien, vous n'avez donc “point de confiance en moi?.... “Sire, je suis comblée des bontés “de votre Majesté, vous servir jusqu'à la mort est tout ce que je “désire...“ Ventre-singri, vous en “avez assez fait pour moi; il y “a assez long - temps que je donne, malgré moi, à des gens “qui ne le méritent guère; il est “juste que je m'acquitte envers mes “bons serviteurs; je vous accorde „mille écus de pension, et cent „mille francs que Sully vous payera; c'est pour vous remplir des “avances que vous avez faites dans “la défense de Leucate; quand je “serai plus riche, nous verrons...“
Madame du Barri se jette aux genoux de Henri, et le conjure de vouloir bien l'écouter un instant. Il la fait relever, et ajoute qu'il veut qu'elle accepte.... „Sire, de grâce, “un mot... j'écoute: parlez...“ Je “ne manque de rien ici; près “de vos Majestés, honorée de leurs “regards, et de leurs entretiens, „est-il fortune que je préférasse à “mon sort? J'admire dans vos âmes “royales, cette affection paternelle “pour vos sujets. Je m'afflige de „vos chagrins, et vous n'en avez “que quand vous ne pouvez faire “à votre Royaume, tout le bien “que vous lui désirez. Je goûte les “transports de votre joie, et vous “n'en ressentez pas de plus douce, “que lorsqu'il vous est permis d'étendre une main bienfaisante sur “votre Royaume; Sire, votre confiance me rend presque l'égale de “mes maîtres, et j'oserais lui demander d'autres biens! je n'ai “qu'un fils, qui sera toujours assez “riche s'il mérite vos bontés.
“J'en suis content; hier au soir “il m'attendait pour m'éclairer “en rentrant, il était accablé de “sommeil; je dis pourquoi l'on “n'avait pas fait coucher cet enfant? Voici sa réponse: „Le Sujet “dormira-t-il, quand le Souverain “veille...
Elle me frappa; j'aurai “soin de lui, mais sans déroger à “ce que je dois à la mère. Vous “toucherez cent mille francs; je “le veux.“
Constance n'osa répliquer; elle voulut se prosterner aux pieds de Henri, pour le remercier; il l'arrêta par la main, et sortit peu après de l'appartement de la Reine. Cette Princesse n'admirait pas moins, que la Cour et la Ville, cette bonté de caractère; ce penchant toujours actif à la bienfaisance, qui étaient l'empreinte des moindres démarches de Henri. La Reine, et sa Dame d'honneur, s'étendirent à l'envi sur les hautes qualités du Monarque. Qu'une Cour qui tire son principal éclat de l'amour du Prince pour ses sujets, offre un tableau touchant! Qu'elle heureuse activité son exemple n'inspire-t-il pas à ceux qui entourent sa personne, et qui partagent son autorité! Henri IV, a laissé ce sentiment précieux en héritage à ses descendants; mais il était réservé au Prince qui nous gouverne, de le faire paraître avec la plus grande énergie.
tendre inquiétude pour sesProvinces, qui souffrent de l'intempérance des saisons; douleur profonde, quand les malheurs des temps le forcent à subvenir aux charges de l'état; bienfaits, mots sublimes dans ces rencontres, où le Roi se cache derrière un voile, pour ne montrer que le Pere; transports d'ivresse à la joie de son Peuple, quand il faut récompenser ou pardonner; lenteur, répugnance à punir. Ces traits aractérisent bien la ressemblance de ces deux grands Princes. Henri apprend qu'un de ses détachements s'est rendu maître d'une province révoltée, et qu'il la traite avec rigueur.“ Partez, s'écrie-t il, “à un de ses serviteurs affidés, allez “à mes soldats, dites - leur qu'ils “cessent leurs ravages; maltraiter “mes peuples, c'est s'en prendre à “moi; quoique rebelles, ils sont „toujours mes enfants.“ De même on vit dans Louis XV, après la bataille de Fontenoy, un père attendri sur le sort de ses soldats, les consoler comme ses enfants; tous les blessés furent secourus comme s'ils l'avaient été par leurs frères, les ennemis prisonniers et blessés devinrent nos compatriotes, et furent traités comme eux dans les hôpitaux préparés pour ce jour de sang; c'est l'âme de Henri.... Que dis-je? Non, c'est celle de Louis; gardons-nous de la comparer qu'à elle - même. Cette courte digression, sur le meilleur des Rois à qui la France, d'accord avec l'Europe entière, a donné le surnom de Bien-aimé, ne déplaira pas sans doute. Quel cœur François ne s'épanouiroit en payant le tribut de son amour à son Roi.
CHAPITRE XV.
Usage que Constance fait des bienfaits du Roi. Ce Prince s'en plaint, et l'en estime davantage. Elle continue à n'employer son crédit que pour les malheureux. Mort de Henri IV, elle se retire de la Cour.
Constance, après s'être livrée à tout ce que la reconnaissance lui dictait, songea à l'usage qu'elle devait faire des bienfaits du Roi; elle venait de lui dire que son âme s'élevait à la vue de la sienne. La résolution qu'elle prit à l'égard des cent mille francs en est une preuve; elle les envoya en Languedoc à une personne dont elle connaissait l'intégrité, et lui écrivit que c'était un secours du Roi, et que Sa Majesté l'avait choisie pour le distribuer dans une petite partie de la Province qui avait extrêmement souffert des guerres civiles, uniquement aux habitants de la campagne, et que ce n'était qu'un faible commencement des bontés que Henri IV se promettait de faire sentir à ses Sujets dans ce canton. Ses intentions furent remplies avec fidélité: cette somme, telle qu'elle était, ne laissa pas d'exciter des vives impressions de joie. Les faveurs qu'un Roi accorde par un tendre intérêt pour son peuple, ont un si grand prix! Il est si consolant d'occuper une place dans son souvenir! La distribution dont nous parlons excita la reconnaissance publique: on implora les bénédictions du Ciel sur Henri IV. L'ami que Constance avait prié de la faire, crut devoir rendre compte au Ministre de la sensation qu'elle avait produite, tant sur ceux qui en avaient été l'objet, que parmi les plus aisés de la Province. Sully, ce coopérateur du Roi au retablissement de la France, fut surpris d'une relation à laquelle il n'avait point de part; il imagina qu'Henri IV avait pris cette somme sur ses épargnes; il fut attendri à cette nouvelle preuve du penchant de son Maître. Il attendit quelques jours que le Roi s'en ouvrît lui-même; mais lassé de son silence, il lui montra la lettre du Languedoc. „Je n'ai point de “connaissance de cela: je n'ai point “fait passer d'argent dans ce pays, “mon ami, vous m'en croyez, débrouillez ce mystère; sachez qui “a emprunté mon nom pour agir “ainsi. Qu'elle est la date? Elle se “rapporte assez au temps où vous “avez donné pareille somme à Madame du Barri; j'ai eu peine à la “lui faire accepter. Je ne vois que “cette femme capable de ce trait: “je vais la gronder.“
Henri IV passe en effet chez la Reine. Après les politesses qu'il devait à cette Princesse, il fit venir la Gouvernante, et d'un ton qui annonçait plus d'attendrissement que de colère, il lui dit: „Qu'avez-vous fait du Barri des cent mille “francs? En avez-vous acheté une “terre, dans votre pays?....Non,
“Sire. Les gardez-vous? Vous seriez folle; il faut en tirer intérêt... “J'ai payé des dettes... Vous ne deviez pas tant que cela, parlez vrai; “vous avez payé des dettes qui n'étaient pas les vôtres, mais les “miennes.... Sire, j'ose...“ Point “de déguisement: lisez cette lettre. Quand elle a lu:“ Vous rendez-vous: êtes-vous confondue? Elle “se précipite à ses genoux. Il n'est “plus temps de vous repentir; je “connais les besoins de mon peuple; c'est à moi d'y pourvoir, et “j'y pourvoirai plus efficacement. “Qu'est-ce que cette bagatelle dans “une province comme le Langue“doc?... Sire, elle n'a été répandue que sur trente ou quarante familles, et elle suffit à leur bonheur.
Passe encore si vous ne “vous êtiez pas servie de mon “nom.... Ahl je voudrais que tout “le bien qui se fait dans le monde, “ne pût être attribué qu'à Votre “Majesté. Zèle outré, les Rois sont “bornés comme les autres hommes “dans leurs soins, et leurs désirs les “plus chers. Je ne l'éprouve que “trop....
Pardonnez, Sire, à une “infortunée qui a pu vous déplaire. “J'ose vous en conjurer, par mes regrets, par mes larmes.“
Le Roi touché jusqu'au fond du cœur, et craignant d'avoir trop affligé Constance pourune action dont il ne voulait que s'amuser, lui tendit sa main à baiser; Madame du Barri un genou en terre, se précipite sur cette main, l'heureux présage de la grâce qui lui était accordée. Le Prince eut la bonté de dissiper ses craintes, et lui dire que sa conduite ne l'avait pas si fâché qu'il avait paru l'être, et qu'elle trouverait toujours un libre accès auprès de lui quand il s'agirait de lui découvrir des maux qui avaient échappé à sa vigilance et à celle de ses Ministres. Ce Prince s'amusa encore quelques moments du zèle de la Gouvernante, et du dénuement où elle s'était réduite, et prit ensuite congé de la Reine.
Dès le lendemain on apporta à Madame du Barri, de la part de Sa Majesté, la donation d'une seigneutie relevant de la Couronne, d'environ dix mille livres de rente. Quand elle en fit ses remerciements au Roi, il lui dit: „Je ne crois pas que vous ovendiez cette terre, et que vous en “envoyiez l'argent en Langucdoc; “votre fils en jouira, ventre-singri: “vous le mettriez à la mendicité, “si vous pouviez......“
Constance ne fut sensible à ce reproche que parce qu'il était dicté par la bienveillance même, et s'appliqua avec une nouvelle ardeur à la mériter. Son crédit s'accrut de plus en plus, et ne lui fit point de jaloux, parce qu'elle sut constamment s'abstenir d'en abuser pour elle et pour les siens. Elle devint le refuge des provinces désolées par la foudre ou par les inondations; des malheureux, que la main avait rendu plus criminels que le cœur: des maisons ruinées par des désastres que la prudence humaine n'avait pu éviter; des victimes que la grandeur tyrannique avaient chargé de fers, et jettées dans les cachots.
Elle était également estimée des Courtisans et des Ministres, parce qu'elle ne briguoit point de places au préjudice des uns, et ne troublait jamais les autres dans leurs fonctions par des importunités, par des demandes abusives.
Sans former des brigues, sans s'immiscer dans les affaires, elle se soutint avec éclat; sa recommendation fut toujours respectée; elle n'eut jamais pour but que le bien public, que l'avancement du mérite, et le soin des malheureux qui étaient dignes d'une vraie compassion.
Son fils, d'un caractère solide, d'un génie peu commun, et héritier de l'attachement de ses père et mère pour ses Souverains, parvint sous ce règne et le suivant, aux grades militaires, et ne les dût point à la faveur de sa mère. Celle-ci partagea les regrets de toute la France quand Henri IVlui fut enlevé par un dernier effort de fanatisme expirant. Les troubles qui accompagnèrent la minorité, les changements qui survinrent à la Cour firent songer Constance à la retraite; elle y porta cette grandeur d'âme, ces mœurs douces, ce fond d'humanité, ce zèle pour la prospérité de l'Etat, qui avaient été la règle de toutes ses actions. Elle fit jusqu'à sa mort les délices d'un petit nombre d'amis, qui n'admiraient pas moins la justesse de son esprit que les qualités de son cœur.